Reflexions autour du terrorisme
dans l’hebdo N° 996 Acheter ce numéro
Pourquoi ce refus de « comprendre » le terrorisme ? D’emblée, François de Bernard pose la question. Non sans prendre la précaution, utile en ces temps où la polémique tient lieu de débat, de préciser ce que « comprendre » veut dire. On se souvient du trop fameux « comprendre, c’est déjà excuser » d’Alain Finkielkraut. Après avoir payé son tribut au politiquement correct (évidemment, nous condamnons tous le terrorisme), l’auteur, professeur de philosophie à Paris-VIII, propose ses explications.
Le refus de « comprendre » le terrorisme, c’est avant tout le refus de la pluralité des terrorismes. Autrement dit, le déni du terrorisme d’État, et l’affirmation d’une norme qui ne prendrait en compte que des groupes comme Al-Qaïda ou encore l’ETA basque. Pour mieux oublier des politiques meurtrières. Bush ou Poutine ? Jamais. L’incompréhension voulue, délibérée, organisée agit donc, pour un État ou un chef d’État, comme une « garantie de pouvoir poursuivre [des] activités criminelles au grand jour sans risque de les voir jugées selon la loi commune » . Après avoir interrogé ce refus de comprendre, François de Bernard s’insurge contre les facteurs d’explication trop simples.
La pauvreté, par exemple. Il en existe d’autres. Ainsi, le sentiment d’impuissance par rapport aux politiques. Ce que l’auteur appelle « la pauvreté politique ». En brillant analyste, il fouille, décortique, pressure le mot et la réalité qu’il sous-tend pour mieux réfuter les fausses interprétations. Non, le terrorisme n’est pas le produit naturel de la mondialisation. Et non, démocratie et terrorisme ne sont pas les termes absolument antinomiques que l’on suppose ordinairement. « L’idée, écrit-il, d’en passer par la contrainte la plus extrême, la violence mortifère […] *, et cela afin de faire triompher son projet* […] *, cette conception est intrinsèquement étrangère à « l’idéal démocratique. » »* Mais il suffit d’une rapide plongée dans la complexité du concept démocratique pour mettre à mal cette doxa . La façon dont des démocraties violent leurs propres lois dès qu’il s’agit de « lutte contre » le terrorisme témoigne de la fragilité d’une opposition trop tranchée. Surgit alors ce que François de Bernard appelle le « terrorisme de la démocratie », lorsque la démocratie « réinvestit » le terrorisme.
On l’aura compris, ce petit livre relève surtout de l’exercice dissertatif. Il n’est pas ancré dans l’histoire et dans la politique et ne se revendique pas comme tel. Mais il offre une réflexion utile qui brise et concasse les préjugés et les certitudes qui font l’ordinaire de notre information.