Une plante qui fait recette

Augmenter leurs ressources tout en maintenant les cultures vivrières :
tel est le défi que se sont lancé des producteurs quechuas de quinoa bio. Une réussite dans le pays et sur le marché international.

Gwénaël Le Morzellec  • 17 avril 2008 abonné·es

Réélu à la tête de la Corporación de productores Bio Taita Chimborazo (Coprobich), Lorenzo Cepeda préside une coopérative qui fédère aujourd’hui près de 1 300 adhérents producteurs de quinoa bio. Dans son bureau de Riobamba, capitale régionale de la province du même nom, perchée sur le plateau andin équatorien, il en expose le fonctionnement : « Nous garantissons aux producteurs 41,14 dollars le quintal de quinoa (45 kg), un prix décidé en assemblée générale et par la direction. Soit trois à cinq dollars de plus que ce qu’ils gagneraient sur le marché local . » L’activité, connectée au circuit du commerce équitable, profite à environ six mille habitants, répartis dans une centaine de communautés de ces « terres froides ».

Illustration - Une plante qui fait recette


Un semeur de quinoa dans le village de San Martin Alto.
J.-A. BERTOZZI/K Collectif

Parmi ses clients, Coprobich compte Fairtrade Labelling Organizations International (Max Havelaar) et la coopérative Ethiquable, qui ouvrent à ce quinoa bio, une fois certifié, des débouchés en Allemagne et en Grande-Bretagne, parfois dans les rayons des grandes surfaces. Cependant, le quinoa se vend aussi dans des boutiques militantes, comme celles d’Andines. « Cette coopérative française est un client que nous apprécions car elle a une grande conscience éthique, elle ne réclame pas de certification pour notre quinoa bio et milite pour sensibiliser les consommateurs français clients des petits points de vente » , explique Lorenzo Cepeda. De son côté, Michel Besson, fondateur d’Andines en France, affirme : « Parce que leur agriculture s’appuie sur un modèle de développement durable guidé par la recherche de la souveraineté alimentaire, nous avons décidé, voici trois ans et demi, de devenir partenaires, via Rantinpak [^2], des petits producteurs de Coprobich. »

En Équateur, les agriculteurs ont constaté qu’ils pouvaient tirer un meilleur parti de leur production de quinoa. Elle leur procure désormais un revenu annuel supplémentaire de 168 dollars.

À Lupaxichico, hameau quechua de 400 âmes, on reconnaît que cette plante a, sur les douze semences cultivées et consommées localement, le meilleur rapport commercial. La production permet de financer l’accès au collège, l’achat de vêtements, les fêtes et les mariages. Ici, le producteur n’hésite pas à bêcher la terre noire des parcelles en pente de 50degrés. « Nous sommes principalement propriétaires de minifundios [très petites propriétés] , explique Manuel, leader de la communauté, entouré de villageois assis à même la paille d’une grange, à l’abri de la bruine saisonnière. Nos exploitations mesurent entre 1~000 et 7~000 m2 [^3], car, à chaque nouveau descendant, nous divisions les parcelles. Mais c’est maintenant difficile. Ceux qui n’ont pas de terrains sont obligés de partir travailler en ville dans le bâtiment ou le commerce. »

Rester, c’est la volonté de Rosa. Jeune mère de famille de la communauté de San Martin Alto, autre hameau de 300 habitants, elle ne veut pas quitter son panorama quotidien. À 3 300 mètres d’altitude, alentour, on embrasse les sommets verts arrondis de la chaîne andine. Grâce à sa dernière récolte de quinoa bio, Rosa a gagné 100 dollars. De quoi acheter fournitures scolaires et produits alimentaires comme le riz, les tomates, l’huile. « J’ai des vaches et quatre petits lopins éparpillés , dit-elle. C’est suffisant s’il n’y a ni grêlons, ni gels contrariants. » En outre, elle complète ses revenus en triant le quinoa chez Sumaklife, société de préparation et de commercialisation fondée en 2006 pour que la plus-value de la filière reste entre les mains des producteurs.

À San Martin Alto, parfois sur d’étroits lopins de terre, cohabitent des cultures pour l’alimentation de base, comme l’ oca (un tubercule), la pomme de terre, le maïs, le blé, l’orge, l’avoine ou le seigle, et aussi les plantes médicinales qui servent à la préparation des remèdes. Des haies protégeant des vents et captant l’humidité participent au délicat équilibre issu du savoir-faire des anciens. La culture indigène reste farouchement d’actualité. « La minga *, pratique ancestrale de certains travaux communautaires, a ainsi été réorganisée depuis douze ans pour « socialiser » les habitants dans le sens de la solidarité, de l’amitié, de la réciprocité »* , explique Guillermo Cepeda, président du village, poste remis en jeu par une élection annuelle.

Les « assemblées » de discussion et de décision pratiquées depuis plusieurs décennies sont l’occasion d’échanges de points de vue communautaires. On y parle de la langue quechua, des vêtements traditionnels de laine sombres et colorés, des maisons de terre sèche plus calorifuges mais qui disparaissent, de la préservation des sols, de la présence de la télévision…

En 2003, les habitants de San Martin Alto, comme de la centaine d’autres villages, ont formalisé leur organisation. Cinq ans plus tard, sur 430 hectares de quatre cantons, Coprobich produisait 260 tonnes de quinoa, dont 10~% étaient consommés et le reste exporté ou vendu sur le marché local. Une réussite liée à la radio Erpe (Escualeas radiofonicas populares de Ecuador). Créée il y a plus de quarante ans, cette chaîne a survécu aux dictatures pour forger les « citoyens d’une société démocratique multiculturelle » . D’abord soucieuse d’alphabétiser une population peu scolarisée et de développer l’expression démocratique et l’information sur la santé, elle soutient depuis quatorze ans des méthodes d’agriculture biologique via des émissions, des formations, des assistances techniques. La Coprobich participe au travail de la chaîne en lui versant la moitié de ses bénéfices.

Actrice économique, l’Erpe se mêle aussi de la nouvelle constitution, décidée après un référendum favorable à 80 % au président socialiste Rafael Correa. Les membres de la radio participent en effet à des consultations visant à définir la politique publique. « Nous proposons, par exemple, l’implantation d’un moulin pour transformer sur place la farine de blé, explique Juan Perez, président de l’Erpe. Nous souhaitons aussi réfléchir aux règles d’un marché local de produits organiques et développer à l’exportation des circuits sans intermédiaire. » Avec le nouveau gouvernement, des marchés intérieurs voient le jour. Il y a quelques mois, les ministres des Finances et de l’Économie sociale se sont engagés à passer commander auprès de l’organisation pour fournir l’alimentation en milieu scolaire. Ils ont annoncé aussi qu’ils allaient réfléchir aux conditions de développement du microcrédit.

[^2]: La fondation Rantinpak se voit comme un appui à la production et à la commercialisation de produits organiques récoltés par de petits producteurs. «Favoriser l’accès au marché international en maintenant l’équilibre social», explique Gonzalo Merchan, son responsable. Elle est partenaire d’une trentaine de groupes dans un pays de 13 millions d’habitants, dont le PIB repose sur les envois financiers des émigrants et les exploitations polluantes. Et où la moitié des actifs connaît le sous-emploi.

[^3]: Dans l’organisation, les propriétés atteignent en moyenne 6000m2 et varient du simple ou double.

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