Appelez le responsable !
dans l’hebdo N° 1002 Acheter ce numéro
Dans cette société de croissance, les activités les plus légitimes, comme se nourrir ou se vêtir, deviennent toxiques, sinon criminelles. Les entreprises fabriquant les produits les plus louables (des médicaments…) peuvent devenir les plus « néfastes » par leur organisation, leurs techniques, leurs politiques ou leur taille. Cela résulte de l’absence de limites au cœur de la logique productiviste
– recherche du profit, prédation des ressources naturelles ou exploitation des hommes.
On reproche souvent aux objecteurs de croissance de ne pas incriminer les « responsables ». Cette nostalgie révolutionnaire reste prisonnière d’une vision manichéiste héritée de la gauche marxiste, avec une lutte de classes réduite à l’antagonisme bourgeoisie-prolétariat. Malheureusement, ce n’est pas si simple.
Qu’il y ait des conflits d’intérêts irréductibles, c’est indéniable. Qu’une révolution soit nécessaire est une évidence. Mais comment se fera-t-elle ? Contre qui et quoi ? Nous sommes tous peu ou prou contaminés par le virus consumériste.
La décolonisation de l’imaginaire est une thérapie collective lente. Nécessairement « réformiste » dans sa réalisation et « révolutionnaire » dans sa visée. Les objecteurs de croissance sont en général non-violents par conviction. Il est possible, toutefois, que l’élimination des obstacles ne puisse être effective sans violence. À voir les attaques du lobby des semenciers pour défendre les OGM, on peut imaginer les réactions de la « World Company » si la menace touchait le système en son cœur. Il est donc important d’identifier, dans ce complexe protéiforme dont nous sommes en partie complices, les « entités » les plus fortement responsables. Citons, pour ouvrir un débat : la publicité, source majeure de pollution matérielle, sensorielle, spirituelle ; la grande distribution, destructrice d’emplois, consommatrice d’énergie, broyeuse de petits producteurs ; la chimie agroalimentaire, contaminant la chaîne alimentaire et les eaux en polluants cancérigènes et reprotoxiques ; les grandes infrastructures et travaux destructeurs de la cohérence des territoires, favorisant un bétonnage mafieux ; les transports sur longue distance des marchandises et des hommes, gaspilleurs d’énergie ; l’armement et le nucléaire, bien sûr, mais cela va de soi…
Cette liste n’est ni fermée ni parfaitement cohérente, parce que la plasticité de l’adversaire n’a d’égale que sa puissance.
La complexité même de l’architecture du pouvoir économico-financier n’est pas la moindre difficulté à surmonter pour sortir de la société de croissance.