La décroissance, une hypothèse plausible
La première conférence internationale sur la décroissance vient de se tenir à Paris. Des scientifiques ont débattu de sujets aussi divers que l’urbanisme, les transports, l’alimentation, et posé les bases d’un réseau de travail.
dans l’hebdo N° 1001 Acheter ce numéro
« Depuis le temps que nous professons la décroissance dans le désert, nous voici parvenus à un point crucial : celui où la chaise va s’écrouler sous “leurs” fesses ! Je suis impatient de voir ce qui va se passer… » Mais ce que Joan Martinez-Alier, de l’Université autonome de Barcelone (UAB), savoure d’abord, c’est le succès de la conférence « Une décroissance économique pour un équilibre écologique durable et l’équité sociale », dont il est l’un des organisateurs. Première rencontre scientifique internationale sur la décroissance, elle a réuni à Paris, les 18 et 19 avril, 140 chercheurs venus d’une trentaine de pays.
C’est avec une grande économie de moyens que se sont tenus les débats, notamment privés de traductions. « Nous n’avons pas voulu voir trop grand, ni multiplier les trajets en avion, décroissance oblige, explique François Schneider, l’un des fondateurs du groupe Recherche et décroissance [^2]. *Mais, même avec un minimum de publicité, nous avons été submergés de demandes d’inscription. Nous avons refusé de nombreux intervenants. »
*
En Inde, à New Delhi, un panneau publicitaire incite à acheter une voiture produite dans le pays. Singh/AFP
Plusieurs personnalités dont la notoriété dépasse le cercle des initiés s’étaient déplacées, comme le Néerlandais Gjalt Huppes, directeur de l’Institut CML, à l’origine de la méthodologie de l’analyse des cycles de vie des produits ; le sociologue britannique Tim Jackson, de l’université du Surrey ; le Néerlandais Roefie Hueting, l’un des pionniers de la critique de l’indice du PIB ; David Korowicz, analyste de la crise énergétique à la Fondation pour une économie de la durabilité, en Irlande ; ou encore l’Autrichien Friedrich Hinterberger, de l’Institut pour une Europe soutenable (Seri), inventeur du concept « facteur 10 » – ou comment diviser par dix nos impacts environnementaux, perspective qui attend (théoriquement) les pays à très forte empreinte écologique, comme les États-Unis.
« Généralement, le thème des débats publics, c’est “pour ou contre” la décroissance. Cette fois-ci, nous étions “entre nous” pour aller au fond des choses et produire de la connaissance » , relève Fabrice Flipo, vice-président des Amis de la Terre. Pas de déclarations militantes, mais des exposés d’économistes, de sociologues, de philosophes, de politologues, etc., sur les impasses de l’économisme et sur des sujets aussi divers que la vitesse, l’urbanisme, le tourisme, l’alimentation, les transports, face aux limites physiques de la croissance. « Il s’agit de recherche appliquée à la “durabilité” , résume François Schneider. Avec une idée centrale : comment élaborer des scénarios de transition, quand on taxe souvent nos idées d’antichambre du chaos social. »
Au programme : la décroissance comme issue à une croissance qui coûte plus qu’elle ne rapporte à la société ; la recherche de nouveaux indicateurs de soutenabilité ; la critique de la dématérialisation de l’économie comme solution (elle accroît la consommation d’énergie) ; l’effet rebond résultant de la surconsommation (les gains d’efficacité énergétique sont annulés par l’intensification des usages) ; l’étude de pays qui n’augmentent pas leurs impacts, etc. Mais aussi les perspectives des pays du Sud. « Ne nous exonérez pas de la nécessité de la décroissance au nom de la responsabilité prioritaire des pays industrialisés ! » , revendique une étudiante chinoise.
Fabrice Flipo livre quand même quelques frustrations. « C’est un pas considérable que d’avoir généré un intérêt interdisciplinaire. Mais la question de fond n’est pas encore bien posée, notamment à cause de la discrétion des sciences humaines. Il ne suffit pas de disserter sur la fin de l’homo economicus, il faut aussi travailler au changement des institutions. »