Le mauvais plan des agrocarburants
dans l’hebdo N° 1004 Acheter ce numéro
La crise alimentaire mondiale affole les organisations internationales, telles des fourmilières éventrées par une godasse inopinée. Le Parlement européen, par 90~% des votants, vient d’adopter un texte qui «juge nécessaire d’approfondir la recherche sur les répercussions de la politique de promotion des biocarburants et de ses conséquences sur le renforcement de la déforestation, l’expansion des terres cultivées et l’offre alimentaire mondiale». La FAO tient une réunion «de haut niveau» à Rome du 3 au 5 juin sur la sécurité alimentaire face aux défis du climat et des agrocarburants. La rencontre ministérielle annuelle de l’OCDE, du 4 au 5 juin, à Paris, traitera des perturbations économiques engendrées par ces bouleversements planétaires. FAO et OCDE publient conjointement, aujourd’hui, leurs Perspectives agricoles 2008-2017, où le rôle des agrocarburants dans la crise alimentaire est disséqué sans complaisance. En septembre dernier, un groupe de travail de l’OCDE exprimait déjà ses états d’âme : «Agrocarburants : le remède n’est-il pas pire que le mal ?»
Nous nous sommes procuré un document d’analyse de l’OCDE (encore non officiel), qui décortique par le menu l’impact des politiques de soutien aux agrocarburants dans les principaux pays industrialisés. Tout à fait édifiant ! Canada, États-Unis et Union européenne joints, les subventions annuelles du secteur, en 2006, s’élevaient à 10~milliards de dollars, et pourraient tripler avant dix ans. Rien de scandaleux a priori, aucune filière énergétique (pétrole et nucléaire compris) n’est parvenue à maturité sans aides publiques. Mais l’analyse de leur «efficacité», au regard des justifications gouvernementales, laisse pantois.
S’agit-il de s’attaquer aux émissions de gaz à effet de serre ? Pour 2015, la réduction attendue serait inférieure à 0,8~% du total émis par les transports. La tonne de CO2 évitée reviendrait à quelque 1~500~dollars, soit 50~fois plus que son cours à la bourse d’échange européenne ! Remplacer les énergies fossiles ? À la pompe, certes (les obligations visent de 10 à 20~% de substitution), mais, sur toute la chaîne de production, les gains seraient misérables — entre 1 et 2~% seulement ! Le développement agricole ? Rien de décisif. Quant aux petits paysans, ils ont toutes les chances d’être peu à peu exclus de cette filière agro-industrielle (privée), même si certains programmes les prennent en considération. Le prix des céréales et des gaines oléagineuses utilisées pour les agrocarburants ? Il est «clairement» dopé par leur développement (comptant pour 65~% de la hausse récente, selon certaines études…), ce qui affecte prioritairement les populations pauvres, très dépendantes de ces aliments de base.
Le pessimisme du rapport est aussi net pour les impacts environnementaux : changement possible d’affectation des terres (déforestation, notamment), mais, surtout, plus de pesticides, d’irrigation et d’érosion des sols, rançon d’un mode de culture évidemment intensif. Ce sont des experts de l’OCDE qui le disent…