Les quatre crises planétaires
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L’hypercapitalisme qui domine la planète est en proie à une crise globale, c’est-à-dire à une quadruple crise financière, alimentaire, écologique et géopolitique. Ces quatre dimensions sont étroitement interdépendantes et révèlent les contradictions internes, portées à leur paroxysme, d’un système économique non soutenable.
La crise financière a démarré sur le marché des subprimes – comme cela a déjà été expliqué dans ces colonnes –, puis s’est propagée aux grandes places financières de la planète par un « effet papillon » propre à la finance et à la météorologie. Une simple perturbation à un endroit donné de la planète peut, en se propageant, se transformer en krach ou en cyclone, comme l’a montré Edward Lorenz, le père de la théorie des chaos, qui vient de disparaître. Cette crise financière est grave, et comparable par sa profondeur à celle des années 1930, parce qu’elle fragilise les banques – acteurs stratégiques du capitalisme –, qui réagissent en rationnant le crédit, frappant ainsi directement le système productif de nos économies. D’où le caractère inéluctable d’une crise économique et de la remontée du chômage dans un grand nombre de pays.
Quant à la crise écologique, elle est consubstantielle aux dysfonctionnements du capitalisme financier. Il est en effet établi, en particulier par les travaux du Giec, que notre modèle de développement est écologiquement insoutenable, et que la dégradation de notre écosystème s’accélère, avec un risque d’irréversibilité. Cette évolution mortifère est la conséquence directe du comportement prédateur des détenteurs du capital financier, qui s’exerce sans limites sur l’ensemble de la planète grâce à la mobilité internationale du capital, résultat des politiques néolibérales. Cette recherche insatiable de rentabilité financière à court terme et tous azimuts a conduit à la marchandisation et à la destruction progressives des biens communs de l’humanité, en particulier ses ressources non renouvelables.
La crise alimentaire, qui se manifeste aujourd’hui par la flambée des prix des matières premières agricoles, a deux causes principales. D’abord, la libéralisation des marchés agricoles et le démantèlement des politiques visant à une régulation des marchés et des cours, notamment sous l’égide de l’OMC et de la Banque mondiale. Soumise aux pressions du marché mondial, l’agriculture vivrière a été détruite dans les pays en développement, menaçant les populations les plus pauvres de la planète, qui vivent (à 75 %) dans les zones rurales. En second lieu, la spéculation financière joue un rôle d’amplification de la crise alimentaire. Ne pouvant plus se porter sur les marchés de l’immobilier ni sur les marchés financiers, eux-mêmes en crise, les spéculateurs (dont les fameux hedge funds ) se sont déplacés sur les marchés des matières premières en « jouant », et donc en poussant les prix à la hausse.
La crise alimentaire est intimement liée à la crise écologique. Une illustration en est fournie par le développement des agrocarburants, fallacieusement présentés comme une solution écologique à l’épuisement des sources d’énergie fossiles non renouvelables. Il s’agit en fait d’une nouvelle filière lancée par les groupes et exploitants de l’agro-industrie dont les effets sur les bilans écologiques et alimentaires de la planète seront désastreux.
Enfin, la crise actuelle est de nature géopolitique. Tout d’abord parce qu’elle remet en cause l’hégémonie étatsunienne. Le modèle économique des États-Unis est en panne. Fondé sur une hyperconsommation des ménages, qui est le moteur du boom économique du pays, ce modèle a entraîné un surendettement devenu insoutenable, et qui est à l’origine de la crise financière. La puissance économique des États-Unis était directement liée à leur capacité à émettre sans limites une dette en dollars auprès de l’étranger grâce au statut de monnaie internationale du billet vert. La crise financière du pays sape la domination mondiale du dollar, comme le montre sa forte baisse (plus de – 100 % contre euro depuis 2001). Par ailleurs, la montée en puissance des grands pays émergents – les Bric [^2] – est désormais un défi pour l’hégémonie économique et financière étatsunienne. L’économie mondiale devient polycentrique.
Une sortie de la crise ne sera possible que si au moins deux séries de conditions sont remplies. D’une part, la reconnaissance d’une nouvelle hiérarchie des normes à l’échelle internationale qui donne la priorité aux impératifs écologiques et sociaux sur les critères purement financiers et marchands. D’autre part, une réforme profonde du gouvernement de la planète, permettant à tous les pays de promouvoir leur propre modèle de développement (et notamment leur souveraineté alimentaire), et remettant en cause le fonctionnement actuel des institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OMC), dont les politiques ont contribué aux crises en cours.
[^2]: Brésil, Russie, Inde et Chine.