« Pourquoi nous ne signons pas »
En réponse à notre appel, nous avons reçu de la direction de la LCR la lettre suivante. Explications de Anne Leclerc et Pierre-François Grond.
dans l’hebdo N° 1003 Acheter ce numéro
Montreuil, le 19 mai
Chers ami-e-s
Nous voudrions vous expliquer par cette lettre pourquoi nous ne signons pas l’appel « l’alternative à gauche, organisons-la », que vous avez publié. Nous partageons avec vous beaucoup de combats et une volonté d’engager à gauche une discussion large permettant à chacun et chacune de se forger une opinion. Beaucoup de militants politiques, syndicalistes ou associatifs, d’ex-militants, de lecteurs sont à la recherche d’une alternative globale face à une droite arrogante, qui tente de passer en force. Le PS n’incarne en aucun cas une opposition claire et déterminée à la politique du pouvoir. Nous vivons un moment charnière très important. Sarkozy et sa politique sont impopulaires, et ils ont été sanctionnés dans les urnes aux municipales. Des résistances sociales s’expriment (des cheminots aux lycéens, sans oublier les travailleurs sans papiers). Ces mobilisations posent des questions décisives. Tout d’abord, comment infliger une défaite cinglante dès maintenant au pouvoir UMP ? Car si nous attendons sagement 2012, alors Sarkozy aura réussi à remodeler la société française, ce qui ne sera pas sans conséquence sur les rapports de force politique. Nous avons donc besoin d’une gauche de lutte, d’une force collective capable de relever le défi de l’épreuve sociale imposée par la droite et le patronat. Et cela va de pair avec la volonté de construire une alternative anticapitaliste, un nouveau parti qui se fixe comme objectif d’offrir un nouveau cadre de représentation politique à celles et ceux qui ne sont plus représentés par la gauche gestionnaire dite social-libérale. Un parti qui tire les leçons des expériences de la gauche au pouvoir qui ont été particulièrement dévastatrices pour les classes populaires. Nous n’oublions pas qu’entre 1997 et 2002 le gouvernement de gauche plurielle a mené une politique libérale, a privatisé, s’est opposé aux mobilisations sociales, a développé un discours de résignation et d’acceptation de la mondialisation capitaliste.
Nous sommes, pour notre part, engagés dans un processus réel de construction d’un nouveau parti anticapitaliste, un parti pour le socialisme du XXIe siècle, porteur de toutes les aspirations émancipatrices (féministes, écologistes, antiracistes, internationalistes…). Nous sommes donc particulièrement intéressés par toutes les initiatives visant à construire une alternative. Mais une chose est le débat, tout autre chose est le lancement d’une initiative politique visant « à organiser l’alternative à gauche », dont les objectifs ne sont pas clairement définis. S’agit-il d’un front électoral ou d’une force en constitution ?
Cette question très sérieuse pose des problèmes en termes de contenu politique et de cadre stratégique. Les formules programmatiques sont très vagues, très imprécises ( « ne pas oublier de redistribuer les richesses » ! ). Aucune revendication concrète concernant le pouvoir d’achat : ni l’augmentation des salaires, des pensions et des revenus de 300 euros que nous défendons ; ni le Smic à 1 500 euros net. Rien non plus sur la retraite au moment où la droite veut imposer les 41 annuités : nous réclamons, pour notre part, le retour aux 37,5 annuités pour tous, privé comme public. Absente également, la question de la régularisation de tous les sans-papiers alors même que des travailleurs osent revendiquer au grand jour l’égalité des droits ; rien non plus sur les licenciements, l’autonomie des universités ; toutes questions très concrètes qui ont suscité des mobilisations et qui établissent des lignes de partage très claires entre les deux gauches. Le texte n’exprime aucune indépendance vis-à-vis du parti socialiste, puisque vous écrivez : « Du côté de la majorité dirigeante du Parti socialiste, les volontés hégémoniques se confirment, et avec elles les tendances au renoncement social-libéral, inspirées des exemples de MM. Blair ou Prodi. Mais la gauche de transformation sociale et écologiste ne doit pas, elle, s’accommoder d’un statu quo qui lui interdit d’espérer changer en profondeur la donne politique. »
Très franchement, voilà un document qui peut être signé par beaucoup de socialistes pourtant acquis au social-libéralisme, et par la direction du PCF très soucieuse de maintenir des relations institutionnelles vitales du point de vue de la survie de ses élus et son appareil. D’ailleurs, les premières signatures, dont l’ancien ministre des Transports Jean-Claude Gayssot, montrent la faiblesse du texte vis-à-vis du bilan de la gauche au pouvoir et de son attitude actuelle face à Sarkozy. Nous ne voulons pas construire une force soi-disant radicale mais dont l’objectif serait de réaliser des accords de gestion avec la social-démocratie comme le fait la direction de « Die Linke » en Allemagne. Une stratégie qui a coûté très cher à Refondation communiste en Italie. Nous défendons le même programme dans la rue et sur le terrain électoral. Nous voulons changer de gauche, pas changer la gauche, et nous avons bien peur que votre initiative, au-delà des intentions de beaucoup de ses signataires dont nous partageons les aspirations, se situe sur un terrain mille fois exploré : au nom de l’unité, évacuer les questions qui fâchent, mais qui pourtant fatalement se réinvitent : soutien aux revendications et aux mobilisations du mouvement social, avec qui gouverner et sur quel programme !
Voici, en quelques mots, les raisons qui expliquent notre refus de signer cet appel. Un appel qui, par ailleurs, nous est parvenu très tardivement, quarante-huit heures avant sa publication en plein week-end de la Pentecôte. Nous restons toutefois disponibles à tout espace de discussions et d’échanges politiques pour débattre de la nécessaire riposte face à la politique de Sarkozy, comme de l’alternative à construire, sans confondre libre discussion et regroupement de forces sur un contenu et des objectifs que nous ne partageons pas.
Bien à vous,
Pour la LCR, Anne Leclerc et Pierre-François Grond
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