Sans-papiers manipulés

Le gouvernement manœuvre pour étouffer le mouvement de grève des salariés sans papiers, notamment en considérant la CGT comme unique interlocutrice.

Thierry Brun  • 15 mai 2008 abonné·es

La CGT est devenue en quelques jours la cible du gouvernement et des collectifs parisiens de sans-papiers dans le mouvement de grève des salariés sans papiers. Seule confédération syndicale à s’impliquer dans ce mouvement, la CGT est désormais l’organisation par qui tout passe et tout se décide, aux dires de certaines préfectures et du Premier ministre, qui a adressé, le 6 mai, une lettre à son secrétaire général, Bernard Thibault, abondant dans ce sens. « Que le gouvernement ne s’y trompe pas, prévient Jean-Claude Amara, de Droits devant !!, à l’origine, avec la CGT, du mouvement de grève de 600 salariés sans papiers en Île-de-France, qui a aussi le soutien d’autres syndicats et de plusieurs associations, tels le Gisti et la Cimade. À vouloir jouer la montre et les manipulations, il prend un risque majeur d’amplifier le conflit. » Et d’ajouter « que la CGT n’a jamais eu pour intention de se transformer en annexe préfectorale ».
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La CGT est cependant devenue l’interlocutrice principale des préfectures, a relevé à ses dépens la Coordination 75, mouvement des collectifs parisiens de sans-papiers. Depuis le 2 mai, cette coordination occupe les locaux de l’union départementale parisienne de la CGT, à la Bourse du travail, après sa tentative, le 30 avril, *« de déposer un millier de dossiers de travailleurs sans papiers à la préfecture de Paris »
. La Coordination 75 « s’est vue opposer un refus de dépôt au prétexte que ces dossiers n’étaient pas présentés par la CGT » , précise-t-elle. La Coordination, qui souhaite « démultiplier le mouvement » , a donc décidé d’interpeller le syndicat « sur les accords qu’il a passés avec l’État en vue de la régularisation des travailleurs sans papiers en grève ». Selon un autre syndicat, qui a aussi présenté des demandes de régularisation, à la préfecture de Paris, cette dernière aurait proposé la régularisation d’un millier de dossiers à la seule CGT. Et, pour jeter le trouble, les Renseignements généraux parisiens recommandent également aux organisations syndicales d’en passer par elle pour le dépôt des dossiers.
Pour calmer le jeu, la CGT Paris a annoncé qu’elle n’envisageait pas de faire évacuer les lieux par les forces de l’ordre et a insisté sur la « provocation de la préfecture [qui] a conduit des sans-papiers à se tromper de cible. La CGT regrette cette occupation, car la véritable cible est Nicolas Sarkozy, son gouvernement et le patronat ».

De leur côté, organisations syndicales et associatives militant dans le collectif « Uni(e)s contre l’immigration jetable » ne soutiennent pas l’occupation des locaux de la CGT par les sans-papiers. Mais Solidaires-Paris, qui participe avec la CNT à la grève et à l’occupation du restaurant parisien Charlie Birdy (VIIIe arrondissement), admet « des dysfonctionnements dans la conduite de la lutte par la CGT. Les collectifs de sans-papiers parisiens voulaient participer à la lutte et aux occupations. La CGT leur a dit non. On aurait préféré travailler de façon plus unitaire, mais cela n’a pas été le cas. On reste cependant dans un cadre unitaire, mais on est sur la base d’un élargissement dès maintenant de la lutte ».

Le syndicat explique aussi que les cinq dossiers de régularisation des grévistes de Charlie Birdy ont été refusés par la préfecture, qui leur a demandé de les déposer… à la CGT. Et certaines unions locales CGT poussent aussi à l’élargissement du mouvement malgré les consignes confédérales qui, pour l’instant, ont pour premier objectif la régularisation des 1 000 dossiers promis par la préfecture de Paris.

Le gouvernement utilise toutes les ficelles pour désunir un mouvement prêt à s’amplifier. Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, réaffirme de son côté que les régularisations « se limiteront à quelques centaines » . Le double langage domine dans les services préfectoraux, qui ont des consignes de contrôle systématique des salariés étrangers. Pas à une contradiction près, le ministère de l’Immigration et la préfecture de Paris ont fait savoir que les salariés sans papiers qui le souhaitent peuvent déposer des dossiers de demande de régularisation « à titre individuel » , comme le prévoit la loi.
Mais, dans sa lettre adressée à la CGT, François Fillon a indiqué qu’il entendait poursuivre l’étude des dossiers « en concertation » avec la CGT et Droits devant !! Matignon tente d’instrumentaliser un mouvement social très médiatique, qui a aussi trouvé son soutien dans l’opinion publique.

Société
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