Silence, on cogne !
Voici une semaine, à Paris, un groupe d’extrémistes sionistes a attaqué des militants pro-palestiniens sortant d’une conférence. Mais cette agression, qui a causé un blessé grave, n’a rencontré aucun écho dans la presse.
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On a beau chercher : pas un mot, pas une ligne. Pourtant, les faits sont avérés, les témoins ne manquent pas, la police a été alertée, et une plainte a été déposée. Mais tout le monde semble s’accommoder de ce silence. Six personnes ont pourtant été agressées, le 15 mai à 23 heures, en plein Paris, tandis qu’elles rejoignaient la bouche de métro la plus proche, après avoir assisté à une conférence du journaliste Georges Malbrunot, ex-otage en Irak et auteur d’un ouvrage consacré à Georges Habache, ancien dirigeant radical palestinien, disparu au mois de janvier. Si le conférencier a été épargné, plusieurs militants du Centre international de culture populaire (CICP), où se déroulait la conférence, dans le XIe arrondissement de Paris, ont été molestés et blessés.
La Ligue de défense juive a été dissoute en 2003, mais ses militants continuent leurs activités. DR
C’est donc après la réunion que des militants et des salariés qui assuraient la fermeture du local ont été victimes de l’agression. Ils se dirigeaient vers la station Rue-des-Boulets quand une vingtaine d’hommes casqués et vêtus de noir ont fondu sur eux aux cris de « chopez-les ! » , lançant bouteilles et autres projectiles dans leur direction. Un technicien du CICP, pris entre la grille du métro et une cabine téléphonique, a été roué de coups. Cinq autres personnes ont été aspergées de gaz. Quelques minutes plus tard, les agresseurs enfourchaient des scooters garés sur le boulevard Voltaire. Secouru par les pompiers, le technicien a dû être hospitalisé. Victime de fractures multiples, il a un arrêt de travail de vingt-deux jours. Une plainte a été déposée à l’unité de police du XIe arrondissement pour violences volontaires, et une enquête a été ouverte.
Gaël, salarié du CICP, n’a guère de doute sur l’identité des agresseurs : « Ils font partie d’un groupe extrémiste de la droite sioniste. » Un collectif qui, selon lui, a prémédité l’attaque : « C’est nous qu’ils attendaient à la sortie de la conférence. Le raid était ciblé et bien organisé. Comme d’habitude » , lâche-t-il. Car cette agression survient après bien d’autres. Le 17 février dernier, lors du rassemblement commémoratif en mémoire d’Ilan Halimi, jeune homme juif torturé puis assassiné en 2006, un commando pareillement casqué et armé avait lancé des projectiles vers la façade du CICP, qui n’avait évidemment aucun rapport avec l’affaire. En janvier, les portes de l’association ont été taguées lors de raids nocturnes. La façade a porté les stigmates successifs du combat des milices d’extrême droite juive, avec des slogans comme « Israël vaincra ! Arafat assassin ! Mort aux Arabes ! Israël vivra et LDJ vaincra ! »
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La LDJ (Ligue de défense juive) est une ramification de la Jewish Defense League, fondée en 1968 aux États-Unis par le rabbin Meir Kahane, chef du mouvement extrémiste Kach. En France, on ne lui prête guère plus de quelques centaines de militants actifs. La LDJ a officiellement été dissoute le 14 juin 2003 à la préfecture de Paris. On peut donc la considérer comme un groupement de fait. Mais ses militants continuent de jouir d’une étonnante impunité. La dissolution est si peu opérante qu’elle a été récemment encore demandée par Frédéric Haziza, chef du service politique de Radio J, dans une tribune à Libération : *« Pourquoi ne pas demander au gouvernement français de dissoudre cette organisation, écrivait notamment Frédéric Haziza, comme c’est le cas pour les organisations dangereuses d’extrême droite ? »
Le journaliste, très proche du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), réagissait aux sifflets et aux insultes par lesquels des militants de la LDJ avaient accueilli Shimon Pérès, président de l’État d’Israël, lors du dîner du Crif le 13 mars dernier. Il avait notamment rappelé que l’accusation proférée à l’encontre de Shimon Pérès – « traître » – était la même qui, en Israël, avait précédé l’assassinat d’Itzhak Rabin, en novembre 1995. À la suite de la parution de la tribune de Libération, Frédéric Haziza a lui-même été le destinataire de menaces physiques répétées. Hélas, il semble aussi que les relations entre le Crif et la LDJ ne soient pas toujours très claires. Les porte-parole de la LDJ ne manquent jamais de se prévaloir de « rencontres » avec le Crif. On peut au minimum se demander si la LDJ ne bénéficie pas de protections. Un autre mystère réside dans l’attitude frileuse de la presse. L’agression du 15 mai n’a, à notre connaissance, fait l’objet d’aucun écho dans les médias. Imagine-t-on un seul instant le retentissement, d’ailleurs légitime, que provoquerait une agression comparable contre une association communautaire juive ?