Un an d’injustices
À l’occasion du premier anniversaire de l’élection de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, l’examen des contre-réformes en cours dessine une société toujours plus inégalitaire. Un dossier coordonné par Michel Soudais, avec Mathilde Azerot, Pauline Graulle, Ingrid Merckx et Pierre Thiesset, à lire dans notre rubrique Politique .
dans l’hebdo N° 1001 Acheter ce numéro
Nicolas Sarkozy ne fait rien comme ses prédécesseurs. C’est du moins ce qu’il prétend. À l’occasion du premier anniversaire de son accession à l’Élysée, nous avons voulu le prendre au mot. D’abord en vérifiant l’importance quantitative de son « œuvre » législative. Ensuite, en tentant de dégager une ligne directrice dans l’accumulation des lois, décrets et projets promulgués ou en cours d’adoption.
Rappelez-vous son entretien télévisé, pas plus tard qu’il y a deux semaines. En toute immodestie, le président de la République s’était vanté d’avoir « lancé 55 réformes » alors que les gouvernements précédents se seraient contentés d’en faire une seule « quand ils étaient courageux, aucune quand ils n’étaient pas courageux » . Chirac, Balladur, Raffarin et Villepin, pour ne rien dire de Juppé, ont certainement apprécié ce coup de pied de l’âne.
À l’usine Louis Vuitton de Saint-Pourçain-sur-Sioule. Pratta/AFP
Pour notre part, nous avons contacté le service de presse de Matignon pour obtenir la liste de ces 55 réformes (ou plus exactement contre-réformes). Embarras de l’attachée de presse, qui avoue ne pas savoir ce que cette addition recouvre au juste et nous conseille d’appeler son homologue à l’Élysée. Là, même gêne. On nous suggéra de nous renseigner auprès de… l’UMP, qui tiendrait à jour l’état d’avancement des promesses de campagne. Devant notre insistance, notre interlocutrice nous mit en relation avec le secrétariat de Franck Louvrier, le grand manitou de la communication élyséenne. Au bout du fil, une dame, surprise par notre demande, nous promit d’en parler à son patron, en voyage en Tunisie, et de nous rappeler. Nous attendons toujours.
C’est donc par nos propres moyens que nous avons établi la liste que vous trouverez dans les pages qui suivent. Nous y recensons les lois promulguées, les projets de loi adoptés en Conseil des ministres et en cours d’examen parlementaire, quelques décrets et mesures arrêtés… Soit un total de 36 réformes, grandes ou petites. Même en y ajoutant le projet de révision constitutionnelle, détaillé dans notre précédente édition, le compte n’y est pas ! Il y avait bien de l’exagération dans le décompte de Nicolas Sarkozy.
Abstraction faite de cette autoglorification assez risible, il n’en reste pas moins que l’ancien maire de Neuilly a initié, en un an au sommet de l’État, une frénésie de « réformes » peu contestable. Aucun secteur n’échappe à la volonté de changement présidentielle. Et l’on aurait tort de ne pas entendre les justifications que donne Nicolas Sarkozy à son activisme. La première est que « tout se tient » . C’est ce qu’il a expliqué l’autre soir à la télé, arguant de la cohérence de ses réformes qui, isolément, seraient inefficientes. Le service minimum a ainsi été imposé dans les transports afin d’affaiblir la résistance des agents avant la remise en cause de leurs acquis sociaux. De même trouve-t-on dans le projet de révision de la Constitution des dispositions qui, si elles étaient adoptées, autoriseraient des lois jusqu’ici retoquées par le Conseil constitutionnel.
Une lecture rassurante de cette première année de présidence sarkozyste voudrait nous faire croire que la volonté de « rupture » initiale se serait assagie. Qu’après le « paquet fiscal », la loi d’autonomie des universités, la remise en cause des régimes spéciaux et l’instauration de la franchise médicale, le souffle « réformateur » serait retombé. Il n’en est rien. On se souvient qu’au lendemain des élections municipales et cantonales, perdues par sa majorité, le chef de l’État avait refusé d’infléchir sa politique, en livrant la seconde clef de son activisme : « Il faut au contraire tout faire pour mettre en œuvre la masse critique des réformes qui permettra de changer les comportements et les mentalités » , avait-il sermonné son gouvernement en Conseil des ministres.
La compilation des réformes engagées que nous présentons dans ces pages n’a certes pas encore réalisé ce projet, au sens propre, totalitaire – quels régimes ont cherché à changer comportements et mentalités ? Des résistances demeurent. Mais, au terme d’une année de sarkozysme, le puzzle dessine déjà distinctement les contours d’une société plus injuste, plus inégalitaire. Une société où les cadeaux fiscaux aux plus fortunés justifient la réduction des moyens de l’État, obligeant par un impôt nouveau les malades à payer pour les malades, les salariés modestes à financer le retour en activité des plus pauvres. Une société dans laquelle les plus modestes devront travailler non pour gagner plus mais pour maintenir, et si possible accroître, les privilèges d’une minorité. De gré ou de force.