Un problème de cohérence

Le principe de fonctionnement des moteurs de recherche solidaires fait débat chez les acteurs de l’associatif.

Xavier Frison  • 22 mai 2008 abonné·es

Donner sans agir et sans bourse délier : l’équation miracle sur laquelle repose le concept novateur des moteurs de recherche dits « solidaires » fait déjà débat dans le monde associatif. « Le problème, c’est le modèle économique qui redirige des sommes générées par de la publicité non contrôlée vers les organisations » , résume Maël Guennou, administrateur d’Ingénieurs sans frontières (ISF). Or, pour les deux sites majeurs du secteur, Hooseek.com et Veosearch.com, c’est la stratégie choisie : les revenus générés par la publicité contextuelle (les annonces qui s’affichent lorsque vous tapez par exemple « vacances » dans votre moteur) échappent à tout contrôle, si ce n’est celui de Google, fournisseur de la technologie. Que penser, alors, d’éventuelles sommes redistribuées à une association de défense de la nature grâce à l’argent « gagné » par l’affichage d’une publicité pour BMW ?

Autre écueil remarqué, l’utilisation des moteurs de recherche employés par l’écrasante majorité des internautes, les Américains Yahoo et surtout Google. Pas franchement des modèles de vertu : Yahoo collabore avec les autorités chinoises pour démasquer les cyberdissidents, et Google est souvent considéré comme le Big Brother du XXIe siècle. Or, Hooseek et Veosearch ne sont qu’une « couche » supplémentaire posée sur ces plateformes. Pour Guillaume Heintz, un des deux fondateurs de Veosearch, qui « raisonne sur une dynamique de marché » , il est « utopique de dire : “On va se passer de Yahoo et Google.” Il se trouve que les gens qui utilisent ces moteurs ne sont pas prêts à s’en passer » , estime cet ancien d’HEC. « 80 % des gens qui formulent cette critique utilisent Google » , réagit pour sa part Thomas Barbey, fondateur de Hooseek. Il avoue n’avoir « pas trouvé mieux pour l’instant. Je préfère que ça rapporte aux associations, en attendant » . Tancé pour avoir référencé sur son site l’ensemble des associations françaises inscrites au Journal officiel sans autorisation, Hooseek n’a pas aidé au bon accueil de ces nouveaux acteurs dans le petit monde de la solidarité. « L’utilisation des coordonnées des associations inscrites au JO est libre, selon la Cnil », se défend Thomas Barbey, qui admet que certaines aient pu être froissées par le procédé : « Quelques associations nous ont dit qu’elles souhaitaient maîtriser la communication de leur marque et ne pas apparaître sur Hooseek. Pour nos versions en Espagne, en Suisse et en Belgique, nous proposerons aux associations de s’inscrire. »
Handicap International, Médecins sans frontières et Greenpeace ont ainsi demandé à être retirés de la liste. ISF a décliné la sollicitation de Veosearch et s’apprête à demander son retrait de Hooseek. Une frilosité que ne s’explique pas Guillaume Heintz : « Dans les pays anglo-saxons, on assume le charity-business. Tout le monde est gagnant dans ce modèle, l’entreprise et les ONG. » Une logique qui fait bondir Maël Guennou : *« C’est une approche très orientée “consommateur” du don. Toute l’activité de ces moteurs de recherche est orientée vers le “client”, l’internaute, plutôt que les associations. Le site ne s’investit pas dans le message de l’association, et l’internaute redirige de l’argent dont il ne sait pas d’où il vient. »
*

Le débat sur ce modèle mi-commercial, mi-solidaire pourrait bien être arbitré par un troisième larron, Doona.fr. Créé en juin 2006 par quatre étudiants, Doona est une association sans but lucratif, animée par des bénévoles. Le site utilise gracieusement la technologie du moteur de recherche français Exalead et redistribue la totalité de l’argent collecté après consultation auprès des internautes. Ceux-ci votent pour leur association – bientôt leur projet – préférée parmi celles qui ont choisi de s’inscrire sur le site. La publicité est gérée par Goodaction.org, une nouvelle régie publicitaire associative, qui finance projets humanitaires et environnementaux. Megaglobe.com s’occupe des liens contextuels. « Beaucoup d’entreprises nous ont prêté leur technologie, et l’enregistrement de Doona au Journal officiel est à peu près notre seule dépense » , s’enorgueillit Nicolas Desmarets, président-fondateur de l’association. Certes, avec 1 000 euros depuis le lancement, les sommes collectées restent modestes. Mais le modèle choisi, bénévolat et partenariats malins, semble plus cohérent avec le but affiché.

Temps de lecture : 4 minutes