Un rendez-vous BCBG

Quand le gouvernement prétend aller à la rencontre des citoyens pour parler de l’Europe, ces derniers sont spectateurs d’une opération de communication bien coûteuse.

Michel Soudais  • 15 mai 2008 abonné·es

« La pédagogie doit toujours rester le maître mot de la politique européenne. » Fort de cette conviction, rappelée lors d’une discussion aimable avec un journaliste de Public Sénat, Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, présidait, le 7 mai à Lille, un des deux « rendez-vous des Européens » qu’organise le gouvernement afin, dit-il, de « préparer [sa] présidence de l’Union européenne » . En guise de préparation, le secrétaire d’État a reconnu surtout chercher à « sensibiliser au projet européen » la population d’une région qui a très majoritairement voté contre le traité constitutionnel européen (TCE) en 2005.

Illustration - Un rendez-vous BCBG


Philippe Starck, parfait dans le rôle de l’Eurobéat.
M.Soudais

La manifestation, vendue par l’agence de pub et de communication EuroRSCG comme un forum, est bien orchestrée : près de soixante-dix intervenants se répartissent en deux tables rondes, retransmises en direct sur la chaîne sénatoriale, et six ateliers. Seul couac : le public composé en majorité d’étudiants et de retraités doit patienter de longues minutes, les personnalités invitées ayant généré un niveau de sécurité élevé.

Dès les premiers échanges sur les valeurs de l’Europe, on est en plein consensus. Le polonais Bronislaw Geremek assure que le rejet du TCE était « un problème de communication » ; Lilli Gruber, une ancienne présentatrice de la RAI, députée européenne (PSE), estime qu’ « il ne fallait pas faire de référendum sur 400 pages » ; Martin Hirsch incrimine plutôt une présentation caricaturale et se félicite de l’ouverture du droit de pétition, « une occasion fantastique » dont « les pauvres doivent s’emparer » . Michel Rocard douche l’assistance en affirmant qu’à 27 « l’Europe politique est morte » . « Le ratage est dans les textes initiaux, lié à l’entrée de la Grande-Bretagne et à la mutation du capitalisme » , estime-t-il. Depuis une tribune dans le Monde, le 27 novembre 2003, l’ancien Premier ministre affiche le même pessimisme. Le propos fait néanmoins sensation auprès de la dizaine de blogueurs invités, qui vont le relayer comme une nouveauté.

Le second plateau est tout aussi terne et orienté. Xavier Darcos, échappé des manifestations lycéennes, présente fièrement un manuel d’histoire franco-allemand. RamaYade, oubliant qu’elle avait voté contre le TCE, juge « indispensable » de faire « en sorte que chaque citoyen s’approprie l’Europe » pour ne plus voir, comme en 2005, « un vote massif contre la construction européenne » . Cette obsession est aussi celle du seul intervenant à incarner la société civile : le designer Philippe Starck, parfait dans son rôle d’Eurobéat – « l’euroscepticisme est quelque chose que je ne peux pas comprendre » –, ravi de communiquer sa « vision mondiale et économique des choses » , tombe toutefois assez vite le masque : il confie être là parce qu’il a « été nommé directeur artistique de la présidence française en Europe » . Une gratification sonnante qui valait bien un détour par Lille avant de s’envoler pour Los Angeles. On approche de la fin de l’après-midi. Le public s’est clairsemé. Il n’aura eu le micro que brièvement. Dans quelques ateliers. À croire que les seuls citoyens au rendez-vous de cette réunion coûteuse – la somme de 80 000 euros est évoquée – étaient des intervenants bien choisis.

Finalement, le propos le plus intéressant aura été prononcé par Jean-Pierre Jouyet, lors d’une brève conférence de presse. Tout en se disant « confiant » dans le résultat du référendum du 12 juin en Irlande, seul pays autorisé à se prononcer par ce biais sur le traité de Lisbonne, le secrétaire d’État aux Affaires européennes a recommandé instamment aux dirigeants européens de « laisser [leurs] amis Irlandais mener seuls cette bataille » dans laquelle se joue « l’ensemble du processus de ratification » . Cet ancien directeur de cabinet de Jacques Delors à la Commission européenne a surtout enjoint cette dernière de « mener sa tâche de ratification jusqu’au bout […] en la simplifiant et non en la complexifiant » , et donc à « ne rien faire qui puisse mettre un grain de sable dans cette ratification » . L’avertissement vise notamment à empêcher que le commissaire au Commerce extérieur, Peter Mandelson, boucle trop vite un accord à l’OMC sur le cycle de Doha qui, en réduisant les subventions à l’agriculture, ferait basculer les organisations agricoles irlandaises vers le « non ». « Ce n’est pas business as usual , a résumé M. Jouyet, parce que […] il n’y a pas de plan B. » Après le référendum, il sera toujours temps de reprendre le business

Politique
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