Une région complètement à sec

La Catalogne connaît une très grave sécheresse. À l’approche de la saison touristique, des dépenses considérables sont engagées pour faire face à cette crise, sans que soit posée la question des économies d’eau.

Claude-Marie Vadrot  • 29 mai 2008 abonné·es

L e Norient Solar, premier bateau apportant 36~000 mètres cubes d’eau du Rhône, est arrivé le 21~mai à Barcelone. Le même jour, empêtré dans ses contradictions face à la sécheresse, le gouvernement catalan a annoncé que les quinze piscines municipales en plein air de la capitale pourraient pomper l’eau de la nappe phréatique, que les douches des plages ne seraient plus approvisionnées en eau douce, que 40~% des espaces verts seulement seraient arrosés, mais que les touristes n’auraient pas à souffrir des restrictions. Pour faire face à cette sécheresse, qui est aussi une crise de l’eau, la Catalogne a organisé depuis Marseille (surtout) et Tarragone 63 voyages de bateaux-citernes par mois jusqu’à la fin de l’été. Une dépense de 22~millions d’euros par mois pour assurer un approvisionnement qui ne représente que 6~% de l’agglomération barcelonaise. Décision qui fait râler beaucoup de Barcelonais, qui égrènent toutes les économies d’eau possibles. Mais, dans les offices de tourisme, on explique avec le sourire que *«la pénurie est très exagérée par les médias et les écologistes».

  • Illustration - Une région complètement à sec

    Un bateau chargé d’eau potable de Tarragone arrive au port de Barcelone le 13 mai 2008. Lago/AFP

Pourtant, la Catalogne connaît la pire sécheresse depuis le début du XXe siècle, la situation s’aggravant depuis des années. Et encore, les archives ne sont pas assez précises pour qu’il soit vraiment possible de trouver un précédent fiable. En outre, en 1900, la conurbation barcelonaise ne comptait pas six millions d’habitants. Le manque de pluie, malgré quelques précipitations diluviennes il y a quelques jours, se traduit par des réserves de barrages inférieures à 25~% de leur capacité. Des déficits de la même ampleur se retrouvent dans toutes les provinces méditerranéennes de l’Espagne, la moyenne étant de 50~%, alors que commence la saison la plus sèche sur ces zones. Seules les régions pyrénéennes du nord bénéficient de réserves proches du maximum, à l’exception du bassin de l’Ebre, qui n’est qu’à 65~% de ses capacités.

Les journaux comme l’opinion publique parlent donc d’une «guerre de l’eau» car, face aux pénuries et aux égoïsmes régionaux, le gouvernement espagnol peine à trouver des solutions durables et à appliquer la loi sur l’eau votée par la droite en 2001, loi qu’il a modifiée parce qu’elle aboutissait à balader l’eau sur des milliers de kilomètres à travers le pays. La dernière, provisoire, consiste à puiser de l’eau dans l’Ebre pour l’amener à Barcelone par une conduite d’une soixantaine de kilomètres. Six mois de travaux pour 180~millions d’euros. D’autres «transferts» sont déjà cartographiés.

Dans cette «guerre» qui inquiète les citoyens et mobilise les politiques, nul n’évoque l’essentiel, la question des économies, sauf sous un aspect ponctuel et dérisoire. Alors que la sécheresse qui menace la Catalogne et la moitié de l’Espagne n’est pas accidentelle. Elle correspond en effet à la modification climatique en cours et au début de désertification du sud de l’Espagne. Un pays dans lequel, selon la FAO, l’irrigation intensive prédomine sur les trois quarts de la surface cultivée, ce qui n’empêche pas des oliviers d’être victimes de sécheresse en Andalousie. L’Unesco ajoute que, désormais, la moitié du territoire espagnol, essentiellement dans sa partie orientale, est classée comme semi-aride.

Autour de la capitale catalane, maraîchers et agriculteurs sont inquiets : « Nous avons pris de mauvaises habitudes, admet Jaime, producteur de tomates, de concombres et de poivrons, nous avons voulu croire, malgré les alertes, que l’eau était inépuisable. Les citadins vont peut-être manquer de douches et de piscines, mais si notre politique agricole ne change pas, ils devront aussi se passer de légumes. Il y a 20 ans, je pouvais passer presque toute l’année avec l’eau du ciel et mon petit étang ; maintenant, c’est impossible. De plus, comme je ne suis pas loin de la mer, l’eau que je pompe est de plus en plus salée. Bientôt, je ne pourrai plus irriguer avec.»

Santiago Vilanova, un des responsables écolos de Barcelone, n’exclut pas «une manipulation de la sécheresse» : «Mieux vaudrait économiser l’eau que construire des usines ou la transporter, ce qui rapporte beaucoup d’argent aux sociétés privées. Un mouvement civique se dessine pour réclamer le passage du secteur de l’eau au public ; nous ne nous en tirerons pas en allant chercher de l’eau à un euro le m3 et en épuisant ou en salant nos nappes par le simple mécanisme des vases communicants.

  • La salinisation des eaux douces proches du littoral progresse chaque année. Non seulement vingt-quatre des grandes nappes aquifères de l’Est espagnol sont classées «surexploitées», mais quatre d’entre elles — deux en Catalogne — sont peu à peu envahies par l’eau de mer. Au point qu’il faudra bientôt dessaler l’eau douce provenant de certains captages. Un double phénomène constaté de plus en plus fréquemment sur tout le pourtour méditerranéen, en particulier en Italie, où l’eau de mer gagne partout le sous-sol du littoral. Une carte de la FAO montre que ce pays compte désormais une trentaine de zones d’infiltration salée.

En 2009, une usine de dessalement fournira à Barcelone 60~millions de m3 d’eau par an. En 2008, l’Espagne aura produit plus d’un milliard de mètres cubes d’eau dessalée. Avec, pour les usines les moins gourmandes, une consommation de 4~kWh par m3. Fonctionnement qui, d’une part, entraîne d’importants rejets de saumure, perturbant la biodiversité marine, et d’autre part un rejet de CO2, qui contribue à accélérer le changement climatique. Alors qu’il existe des techniques de dessalement — s’il faut vraiment en passer par là plutôt que de lutter contre les gaspillages — faisant appel à l’énergie solaire.

Cette situation n’empêche pas l’Espagne de créer de nouveaux terrains de golf, comme celui de Port Aventura, près de Tarragone, qui ouvrira ses portes le 16~juin : 200~hectares et sept lacs artificiels pour garantir que le gazon restera vert toute l’année. Une partie de cette eau sera d’ailleurs fournie par une petite usine de dessalement ayant coûté 4~millions d’euros.

Écologie
Temps de lecture : 6 minutes

Pour aller plus loin…

Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement
Environnement 19 novembre 2024 abonné·es

Une proposition de loi surfe sur la colère agricole pour attaquer violemment l’environnement

Deux sénateurs de droite ont déposé une proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Mégabassines, pesticides, etc. : elle s’attaque frontalement aux normes environnementales, pour le plus grand bonheur de la FNSEA.
Par Pierre Jequier-Zalc
« L’élection de Trump tombe à un très mauvais moment pour le climat »
Entretien 13 novembre 2024 abonné·es

« L’élection de Trump tombe à un très mauvais moment pour le climat »

Climatosceptique de longue date, Donald Trump ne fera pas de l’écologie sa priorité. Son obsession est claire : la productivité énergétique américaine basée sur les énergies fossiles.
Par Vanina Delmas
« Des événements comme la COP 29 n’apportent pas de transformations politiques profondes »
Entretien 8 novembre 2024 abonné·es

« Des événements comme la COP 29 n’apportent pas de transformations politiques profondes »

Le collectif de chercheurs Scientifiques en rébellion, qui se mobilise contre l’inaction écologique, sort un livre ce 8 novembre. Entretien avec un de leur membre, l’écologue Wolfgang Cramer, à l’approche de la COP 29 à Bakou.
Par Thomas Lefèvre
Clément Sénéchal : « Les gilets jaunes ont été le meilleur mouvement écolo de l’histoire récente »
Entretien 6 novembre 2024 libéré

Clément Sénéchal : « Les gilets jaunes ont été le meilleur mouvement écolo de l’histoire récente »

L’ancien chargé de campagne chez Greenpeace décrypte comment la complicité des ONG environnementalistes avec le système capitaliste a entretenu une écologie de l’apparence, déconnectée des réalités sociales. Pour lui, seule une écologie révolutionnaire pourrait renverser ce système. 
Par Vanina Delmas