Courrier des lecteurs Politis 1005

Politis  • 5 juin 2008 abonné·es

La mécanique s’emballe

Voici la réponse d’un lecteur de Politis à un ami auquel il avait précédemment envoyé l’appel de notre journal, et qui avait eu une réaction désabusée ( «Ah, tu y crois encore !» ).

Alors, que proposes-tu, mon cher ami philosophe ? Rester dans cette logique d’accélération suicidaire de la paupérisation actuelle, dont les paramètres de croissance sont exponentiels ? Transiger, négocier, biaiser avec des entités dont la morgue financière est incommensurable et dont la puissance corollaire leur permet d’offrir un discours de paternalisme dictatorial (car nous y sommes, comme les Anglais ou les Belges, ou les Suisses…) ? Tu sais aussi bien que moi qu’un système économique, lorsqu’il n’a plus de contrepartie, est contraint à l’éclatement par autodestruction, du fait même qu’il n’a plus de sparring-partner lui permettant de mettre en exergue les failles qui minent ses fondations, résultant des surgeons de cette course aveugle à la croissance en tout. Cela écrit, je veux bien que cet appel sente le réchauffé stérile, mais quand un Walter Veltroni annonce lui-même que son parti n’est pas un parti de gauche, quand les partis historiquement de gauche marchent sur les plates-bandes de la droite, qui, elle, vire sur son aile la plus extrême et peaufine un discours très démagogiquement compréhensible (alors que la «gauche» se perd en guerres picrocholines), où vont les gens qui ont encore envie d’accomplir un devoir civique ? Vers ce qui est très clairement identifiable, lisible, sans fioritures, à savoir les discours d’extrême droite actuels. L’antienne, qui résonne actuellement à nos oreilles, de personnes prêtes à rogner sur leurs libertés individuelles les plus fondamentales, ou à accepter que d’autres n’aient pas les mêmes, afin d’assurer, illusoirement, la pérennité du pain quotidien, n’éveille-t-elle pas un écho historique d’il y a quelques décennies ? J’écoutais sur France Culture toute cette semaine un feuilleton retraçant les dernières semaines de la vie d’Aldo Moro avant son exécution (cela faisait des mois que je repensais à cette époque et à l’action de ces groupes), évocation établie sur la base des courriers qu’on l’avait autorisé à envoyer à différentes personnes, ponctuée par la lecture des déclarations faites par les Brigate Rosse. Même période que la Rote Armee Fraktion. Tout n’est-il pas déjà en place pour que ce genre de mouvement terroriste surgisse à nouveau? (Est-ce à craindre ou à souhaiter ? Le rapt et la séquestration de certains dirigeants, non plus politiques mais économiques, ne seraient-ils pas nécessaires face à l’arrogance des décideurs économiques ?) Il ne s’agit pas «d’y croire» ou de prôner la révolution, car il n’y a plus d’idéologie qui tienne, mais de questionnements sur la survie de tout un chacun, la paupérisation s’étendant aux couches moyennes ; il s’agit de prendre conscience que cette mécanique sciemment mise en place (générique de fin de la «révolution industrielle» occidentale, source du clivage Nord/Sud) s’emballe hors de toute raison et donc de tout contrôle, le risque étant que la réaction soit elle aussi incontrôlable. Une suggestion de lecture sur la réalité de quelques chiffres effrayants : le numéro de juin-juillet de Manière de voir, sur «l’Internationale des riches».

Lionel Gruénais, Apt (Vaucluse)

Nicolas et ses amis

«– Nicolas, Ernest-Antoine a trouvé la louche que tu as cachée et il…

— Ta gueule Laurence, vous êtes une bande de nuls !

–Nous ! Mais si tu n’avais pas pissé dans ta culotte quand la garde républicaine est venue nous enfermer dans cette pièce, au lieu de manifester de l’autorité…

— Ta gueule, je t’ai dit ! Ils étaient armés, et puis, et puis j’ai mal ! J’ai mal au bras et j’ai trois ongles cassés ! puis j’ai soif, et faim ! Beu-heu-heu !

— Toi, tu as mal ? Mais tu as trimballé beaucoup moins de cartons de billets de banque et de fûts de pétrole que nous autres ! Et quand ce soi-disant représentant du peuple, avec son petit sourire au coin de la bouche, nous a fait son speech disant qu’on devait être contents de se trouver avec plein de ce qui est le plus important pour nous — de l’argent et du pétrole –, tu as répondu : “C’est vrai, ça ! Mais faut pas oublier le pouvoir.”

— Et les gonzesses. Hmmm…

— Pas touche ! Et de quoi boire et bouffer, tu n’y as pas pensé ?

— Bah, ce ne sont que les perdants, dans ce monde du chacun pour soi, qui pensent aux choses aussi banales… Ernest-Antoine, pose cette louche !

— Regardez ! Sous la surface du pétrole, dans ce baril, il y a de l’eau ! Glou glou glou… Aaagh !

— Ah le con ! Jean-Pierre, qu’est-ce que tu fais dans ce carton de biftons ?

— Comme la route est longue, le papier est coriace, mais comme la pente est forte, le goût est divin. Miam !»

William Peterson, Gère-Bélesten (Pyrénées-Atlantiques)

Le prix du bio

Dans l’article «Le côté obscur de Leclerc», paru dans le n°~1002 de Politis, on parle du prix équitable pour le producteur, de la grande distribution qui casse les prix pour attirer les clients, faire péricliter les petits commerces bios et, à la longue, s’emparer de la plus grande part de marché afin de pratiquer les prix les plus élevés. Mais le côté obscur n’existe pas seulement chez Leclerc et dans les grandes surfaces. Pour ma part, j’ai toujours constaté que dans le commerce bio les prix étaient au maximum. Lorsqu’ils sont un peu moins élevés, c’est parce que le commerçant est placé près d’une grande surface ou d’un autre commerce bio. Où est le prix juste pour le consommateur ? On n’en parle jamais, tiraillé entre Leclerc et le commerce bio, qui fait la même politique quand il le peut, c’est-à-dire le maximum de profit.

Josiane Vachon, Dourgne (Tarn)

Avançons…

Bravo d’abord, à propos de votre appel «l’alternative à gauche», d’avoir fait cette large place au courrier critique. Signataire moi-même, je m’en suis trouvé conforté dans ma position tout en en tirant matière à réflexion. Deux choses me frappent particulièrement. La première, c’est l’agressivité d’une partie de l’argumentaire à partir d’a priori, voire d’anathèmes. De ce point de vue, le positionnement de Raoul Marc Jennar est assez représentatif. J’ose dire que j’ai voté «oui» au TCE tout en étant farouchement opposé à la logique libérale qui sous-tend, depuis son origine, la construction de l’UE (dois-je rétracter, moi aussi, ma signataire de l’appel ?). Mais j’ai vu alors (naïvement ?) la possibilité envisagée par le TCE de permettre à certains pays d’avancer dans la voie d’un approfondissement politique, social et démocratique, et donc une façon de prendre le contre-pied d’un élargissement qui enferme l’Europe dans la perspective déprimante d’une zone de libre-échange privée de tout projet solidaire.

La seconde tient à la nécessité qu’il y aura, en effet, de sortir d’un consensus commode autour d’idées aussi fédératrices qu’abstraites, qui laisse le champ libre à ceux qui ont su bâtir une vraie réflexion politique et stratégique. Face à une droite décomplexée qui a compris l’importance du débat idéologique et nous gave de sa «modernité», et voit «l’archaïsme» dans toute forme d’opposition, et face à une partie de la prétendue gauche qui s’est ralliée à l’inéluctable mondialisation et ne se positionne plus que sur le terrain de débats de société (comme homoparentalité, le vote des étrangers), il est impératif de formaliser un corpus idéologique solide, un programme et une stratégie. Cela conduit-il à la constitution d’un nouveau parti ? Ou plutôt à la constitution d’une fédération de pensée reconnue et écoutée ? J’ai envie de dire : peu importe, avançons et on verra.

P. Le Corff

Un avenir commun

Je suis assez surpris par certaines réactions des lecteurs de Politis, voire parfois indigné ! Quand certains demandent à Politis de ne pas gêner la construction du NPA, je crois rêver. Si cent personnes veulent créer chacune un parti politique, c’est leur droit. On peut regretter alors la dispersion politique, mais cela ne permet pas à un seul de demander aux 99~autres d’arrêter leurs propres travaux sous prétexte que sa proposition serait la plus réaliste ou la plus avancée. […]

De plus, Politis n’a jamais souhaité créer un énième ersatz de parti politique. À la façon des États généraux de la gauche des collectifs unitaires antilibéraux, Politis souhaite un cadre permanent de discussion entre les forces de gauche. Mais n’a jamais présagé des suites. Je suis d’accord sur le fait que cet appel en est un de plus et que certaines signatures sont contradictoires avec le fond du texte. Cependant, ce type d’appel a au moins le mérite de montrer clairement que nous pataugeons, que nous ne progressons pas (pour ne pas parler de régression), qu’il faut que certains enfin se rencontrent et non pas certaines tendances de certaines structures.

Que ceux qui ne veulent pas que le NPA soit jugé précocement n’en fassent pas de même avec les autres, et inversement. Que chacun tente son expérience, et attendons le résultat. Mais qu’au moins chacun puisse discuter avec les autres, afin d’offrir un avenir commun dans les luttes aux milliers de militants et millions d’hommes et de femmes qui cherchent désespérément une issue politique à leurs attentes, leurs souffrances et leurs espoirs.

Gaétan Alibert, Paris

Trop de pauvres!

J’ai lu dans le Figaro (du 26~mai) un article au titre édifiant : «Les rêves de propriété des pauvres sont la cause de la crise». Voilà un titre outrageant, mais les droits d’expression et de la presse étant des droits de l’homme, nous ne pouvons interdire un tel titre. En revanche, les commentaires sont tout aussi libres.

Les pauvres sont ceux qui n’ont rien et veulent un peu : du travail, manger, un toit pour élever dignement leurs enfants de pauvres, une sécurité sociale sans avoir à demander l’aumône devant le siège du Medef. Les responsables de la crise sont les banques, les hedge funds qui, après avoir rincé la Bourse, encaissé les bénéfices, se font payer les moins-values par les États. Voilà le vrai visage du néolibéralisme, de la nouvelle économie qui avance à visage découvert (bling bling, j’arrive). Mais ni honte ni remord ! Pour eux, la crise ce sont les pauvres. […] Pourquoi ne pas tout leur mettre sur le dos ? Les guerres, les famines, les tremblements de terre ! C’est vrai, les pauvres sont trop nombreux !

Pascal Pradier, Orange (Vaucluse)

Courrier des lecteurs
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