Courrier des lecteurs Politis 1006
dans l’hebdo N° 1006 Acheter ce numéro
Bonnes intentions
Ma première réaction à l’appel publié dans Politis fut : «Très intéressant, mettez-le sur la pile au bout du jardin.» Mais la qualité de certains des premiers signataires m’a incité à davantage de réflexion.
Première remarque : c’est regrettable de ne pas avoir tenté au moins un semblant de bilan des défuntes initiatives de ce type des dernières années, disons au moins des comités Juquin, du lancement d’Attac et de la candidature unique antilibérale à la dernière présidentielle. Il est peut-être inutile de refaire les mêmes erreurs.
Seconde remarque : le fait de lancer cet appel au moment où la LCR tente de concrétiser son projet de NPA, sans dire un seul mot de ce projet, ne me paraît pas de bon augure pour un rassemblement. Pourtant, la période me semble particulièrement favorable, du moins dans le cadre électoral. Comme ce vieux renard de Langlois l’a noté dans son bloc-notes, nous sommes arrivés à la fin d’un cycle, celui où le PS pouvait se permettre à peu près n’importe quoi, sûr que le PCF faisait régner l’ordre à sa gauche et lui apporterait sur un plateau ses voix au second tour en échange des nombreux postes et prébendes assurant la pérennité du PCF. Le discours était bien rodé : «discipline républicaine», «pas de politique du pire», «faire barrage à la droite» , etc., et tout se terminait en arrangements entre amis. La recette était extensible : «arrêter Le Pen», «tout sauf Sarko» , etc. Avec les résultats que l’on connaît. Les dernières élections ont montré que, maintenant, le PS ne pouvait plus compter sur cette manne du second tour, du fait de l’affirmation croissante d’une extrême gauche sans laquelle, quelles que soient les accointances avec le centre, le PS ne pouvait espérer battre la droite classique. En quelque sorte, la génération Besancenot remplace la génération Krivine (désolé, Alain, c’est juste une image !). Et si mes infos sont bonnes, le PS a senti le vent du boulet et a créé un groupe d’étude sur le sujet.
Mais cette nouvelle donne ne peut fonctionner que si cette gauche affirme haut et fort des principes clairs. Et c’est là que le bât blesse dans l’Appel de Politis . Sans exiger un manifeste révolutionnaire, force est de constater qu’il n’y a qu’un catalogue de bonnes intentions : qui peut être contre le droit des femmes, des immigrés, l’écologie, etc. ? Même Jean-Paul II a prêché des textes similaires ! Quand à «la redistribution des richesses»… sans un mot sur la manière de les produire, il y a de quoi s’inquiéter.
D’autant que dans la seconde fournée de signataires j’ai retrouvé sans surprise pas mal de vieux crabes parmi les blanches colombes. Pour qui il est sans doute question dans un premier temps d’occuper le terrain en colloques, forums, assises et autres manifestes sans jamais faire de choix politiques clairs, pour être fin prêts aux prochaines échéances électorales à amener le package au PS en échange de sa bienveillance. Sinon, comment expliquer que certains signataires ne voyaient jusqu’à ce jour de salut que dans le PS (pardon : dans la «gôche» du PS !) avant ce ralliement enthousiaste ? Sans ces choix politiques clairs qui se démarquent du libéralisme et du capitalisme, remplacés par des «clivages» sociétaux passe-partout, impossible de peser réellement sur le PS. Et c’est pourquoi je ne signerai pas cet appel tout en espérant que le débat qui a l’air de s’esquisser avec la LCR nous permette un jour d’éclaircir tout ça.
J. Deson, Maisse (Essonne)
Culture Internet
J’ai apprécié dans Politis le débat contrasté, très révélateur, des lecteurs à propos d’un appel de personnalités, que j’ai manqué.
Ce débat révèle bien une certaine «culture Internet», qui, avec les meilleures intentions, finit par marginaliser la culture militante plus large qu’elle devrait servir (puisqu’elle en fait partie), celle du contact militant direct et de tous ses supports de diffusion : du mouvement social, des Collectifsantilibéraux, des associations, des partis, avec leurs manifs, leurs porte-à-porte, leurs journaux.
Cette culture Internet, «remarquable» pour son efficacité de transmission de contenus louables, tend à devenir un moyen exclusif de communication au service des initiés motivés. Flattant la bonne conscience, elle ajoute à la personnalisation politique en facilitant la multiplication d’appels venus d’en haut. Cette inflation pétitionnaire fait illusion populaire, mais court-circuite la dynamique de reconstruction concrète démocratique et non exclusive qui est celle des collectifs nés en 2005[…].
Jean-Michel Talibart, Villepreux (Yvelines)
Notre appel, «L’alternative à gauche, organisons-la», a été publié dans la version papier du n°~1002 de Politis, resté deux semaines en kiosque, et largement diffusé lors de la manifestation de la Fonction publique du~15mai.
Difficile union
Comment quelqu’un de gauche (vraiment) pourrait-il être contre un appel à l’union pour arrêter le massacre actuel ? Mais si l’union a tant de mal à se réaliser, c’est probablement qu’il n’y a pas accord sur le fait que ce n’est pas seulement le partage des richesses qui est en question en France et ailleurs (un peu plus pour le travail, un peu moins pour le capital), mais les richesses elles-mêmes produites par le système néolibéral.
Au XXIe siècle, compte tenu de la dégradation accélérée de la planète, c’est donc le productivisme basé sur la techno-science : produire quoi ? Pour qui ? Comment ? La consommation qui en découle est le clivage central. S’il n’y a pas de réponses à ces questions, il n’y a pas d’entente possible entre ceux qui veulent vraiment le changement. Ce qui, bien sûr, ne dispense pas d’envisager des transitions et des compromis au niveau programmatique dans les court, moyen et long termes.
En même temps, pas d’union ni de changement possibles sans réflexions et pratiques nouvelles dans le fonctionnement des groupes, qui doit être authentiquement démocratique, en interne et externe.
La démocratie en actes, c’est la révolution. La crédibilité des acteurs de changement se joue sur ce plan.
Michel Couteaux et Francine Beauplet, Libourne (Gironde)
«Envisager la suite»
J’ai signé l’appel de Politis. J’ai lu dans ce même journal la lettre d’Anne Leclerc et Pierre-François Grond, «Pourquoi nous ne signons pas» . J’ai considéré que la tribune de Clémentine Autain, Luc Boltanski, Élisabeth Claverie, Frédéric Lebaron, Michel Onfray et Arnaud Viviant, parue dans le Monde du 5~mai, était une réponse, et voilà dans ce même journal une réponse à la réponse, signée de Philippe Corcuff, Pierre-François Grond et Anne Leclerc !
Je trouve qu’un journal comme le Monde, qui milita outrancièrement pour le bipartisme à l’américaine au moment de la présidentielle, n’est pas qualifié pour organiser un débat interne à la gauche de la gauche.
Il est temps d’arrêter ce dialogue de sourds où chacun se déclare «ouvert à la discussion» … à condition que cela soit sur le terrain qu’il a lui-même choisi. Si les états-majors veulent continuer de discuter sur le sexe des anges, libres à eux. En attendant, Sarkozy peut mener toutes les offensives libérales et antisociales qu’il veut : il ne trouve en face de lui que des catégories sociales qui agissent en ordre dispersé.
Oui, il est temps d’ «envisager la suite» , comme l’écrivait Denis Sieffert dans le n°~1004 de Politis. Je suis persuadé que les directions des différents partis de gauche ne renonceront jamais à leurs visées hégémoniques, fussent-elles encore plus dérisoires que leurs scores électoraux récents le révélèrent. En ce qui me concerne, j’appelle de mes vœux la création, par Politis, d’un forum de discussions sur Internet, relayé par le journal, où tous ceux qui pensent urgent d’organiser une alternative vraiment de gauche pourront en dessiner le contour.
Jean-Claude Bauduret