Des universités très populaires

Nées au XIXe siècle et récemment remises au goût du jour, les universités populaires connaissent un véritable engouement. Du 20 au 22 juin, elles tiennent leur troisième Printemps à Saint-Brieuc. Un dossier à lire dans notre rubrique « Société ».

Olivier Doubre  • 12 juin 2008 abonné·es
Des universités très populaires

Vendredi 20~juin, à Saint-Brieuc, s’ouvrira le troisième Printemps des universités populaires, qui réunira les représentants d’une dizaine d’entre elles, membres de ce qu’il est courant d’appeler aujourd’hui le «réseau Onfray». Si de tels établissements sont nombreux en France, c’est en effet le philosophe Michel Onfray, avec la création de l’université populaire de Caen, en 2002, qui est à l’origine du nouvel essor donné à une idée née au XIXe siècle. En France, nous la devons à Georges Deherme, ouvrier typographe libertaire. Reprenant là une initiative qui vit le jour au Danemark en 1844, il entendait donner à la classe ouvrière, exclue des lieux de savoir, des outils de jugement critique.

Illustration - Des universités très populaires


En créant l’université populaire de Caen en 2002, le philosophe Michel Onfray a donné un nouvel essor à ces lieux de savoir démocratiques. AFP

Avec une vision humaniste, ces universités gratuites et ouvertes à tous, soutenues par des intellectuels républicains liés au dreyfusisme, comme le philosophe Alain ou Charles Péguy, veulent contribuer à la réalisation de l’idéal démocratique. Après la Première Guerre mondiale, elles connaissent un succès important sous l’égide de deux grands courants de pensée : le catholicisme social et le mouvement ouvrier, surtout communiste, avec notamment Georges Politzer, philosophe marxiste d’origine hongroise, très investi dans l’Université ouvrière de Paris, fondée en 1930 par le PCF. Fusillé en 1942, il demeure la grande figure des universités populaires, qui connaissent alors un certain âge d’or.

Après la Seconde Guerre mondiale, les universités populaires bénéficient du soutien de l’État, notamment en 1950 avec le secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports d’André Maurice. Un réseau se développe à partir des années~1960, l’Association des universités populaires de France [^2], toujours actif aujourd’hui avec plus de cent établissements sur tout le territoire. Parfois proche de la culture communiste (comme à Gennevilliers) ou de la tradition sociale-chrétienne (comme en Alsace), l’AUPF est depuis affiliée à la Ligue de l’enseignement et au vaste réseau européen des universités populaires, l’European Association for Education of Adults ^3.

Le président de l’AUPF, Denis Rambaud, directeur de l’université populaire de Mulhouse, se dit volontiers un adepte de la «société sans école» d’Ivan Illitch. Ancien du PSU, il a «retenu de Mai~68 l’idée de bannir le cours magistral» . Ainsi, à Mulhouse, les intervenants deviennent «apprenants» selon les cours et les connaissances de chacun.

En 2002, lorsqu’il crée l’université populaire de Caen, Michel Onfray, grâce à sa renommée de philosophe, donne un formidable coup de projecteur à l’éducation populaire, mais en s’attachant à remettre au goût du jour la tradition de critique sociale issue du XIXe siècle, parfois délaissée en cours de route par certaines structures davantage engagées dans une démarche d’animation culturelle. Complémentaires, les différents réseaux cohabitent aujourd’hui en bonne intelligence, sans néanmoins beaucoup communiquer entre eux.

En pleine expansion, le réseau Onfray, qui est d’abord informel et sans structure centralisée, insiste sur son objectif d’émancipation sociale, tout en mêlant cours magistral et dispositifs pédagogiques «libertaires». Gratuites et ouvertes à tous sans conditions de diplômes, les universités populaires qui adhèrent aux principes exprimés par Michel Onfray
[^4]
souhaitent en effet rendre accessibles des «savoirs critiques» afin d’enrayer, selon les termes du philosophe, «la reproduction du système social» . Après Caen, Lyon et quelques autres, l’une des dernières en date est justement celle de Saint-Brieuc, née en mars et animée par Walter Bonomo, lui-même universitaire. Cette université populaire, au lieu d’être en marge de toute institution comme celle de Caen, s’est pour sa part associée aux universités de Nantes et de Rennes-II, ce qui lui permet de bénéficier de salles et des sites Internet de ces facultés, où l’on peut visionner ses cours [^5]. Aujourd’hui, un public de plus en plus large fréquente ces lieux alternatifs de savoir. À l’approche du Printemps des universités populaires, Politis est parti à sa rencontre.

[^2]: AUPF, .

[^4]: Voir la Communauté philosophique : manifeste pour l’université populaire, Galilée, 2004. Pour en savoir plus, site de l’université populaire de Caen : .

[^5]: Ils ont lieu un jeudi soir sur deux, à~18~h~30, dans un amphithéâtre du campus Mazier de Saint-Brieuc. Rens. : .

Société
Temps de lecture : 4 minutes

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