Il faut taxer les profits !
L’ascension irrésistible des cours du pétrole révèle une crise profonde du modèle économique, estime l’économiste Geneviève Azam, membre du conseil scientifique d’Attac.
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La flambée actuelle des cours du pétrole est due aux effets cumulés de trois crises majeures : financière, écologique et géopolitique. Chacune, avec des temporalités différentes, exprime une véritable crise systémique. La crise financière a déplacé la spéculation vers les marchés des matières premières qui sont orientés à la hausse. En outre, face à la chute du dollar, les investisseurs se protègent en achetant des matières premières, dont le pétrole. La spéculation est bien responsable de la volatilité des cours du brut.
Mais, au-delà, le niveau élevé du prix signifie la fin de ce pétrole à bon marché qui fut à la base de la croissance productiviste. L’accès à la ressource est en effet limité pour des raisons géopolitiques et géologiques. Les désastres de la guerre en Irak, les multiples conflits pour le contrôle de la ressource, illustrés, par exemple, par les destructions de pipelines au Nigeria, en limitent les accès, et la diminution des réserves conventionnelles, d’exploitation peu coûteuse, raréfie l’offre.
Les profits des firmes pétrolières ont servi à la distribution de dividendes ou au rachat d’actions plutôt qu’à l’investissement pour la recherche et les énergies renouvelables. Pendant ce temps, la demande continue sa progression, de la part des pays émergents, certes, mais aussi des pays riches : les États-Unis sont le premier importateur mondial de pétrole et consomment 25~% du total mondial, au nom de leur célèbre formule : «Le mode de vie des États-Unis n’est pas négociable.» Or il est devenu écologiquement et socialement insoutenable.
Alors que les responsables «politiques» semblent tout à coup découvrir le problème qu’ils auraient dû anticiper, des mesures d’urgence sont maintenant nécessaires. Elles ne peuvent toutefois s’exempter du dérèglement climatique provoqué par la surconsommation des énergies fossiles, et elles doivent s’inscrire dans la perspective de la diversification, de l’efficacité et de la sobriété énergétiques. Pour soutenir les catégories sociales les plus pénalisées et réaliser les investissements nécessaires à la reconversion énergétique, ce sont légitimement les profits gigantesques des compagnies pétrolières qui doivent être taxés. Ces dernières alignent leurs marges sur les cours du baril ; en 2007, les profits nets d’Exxon ont atteint 35~milliards de dollars, ceux de Total 12,2~milliards d’euros (6,26 en 2002).
Par ailleurs, la taxe intérieure sur les produits pétroliers (Tipp), calculée sur les volumes, doit également s’appliquer au transport aérien. Ainsi, et contrairement à ce que laisse entendre Nicolas Sarkozy, ce sont des ressources collectives, notamment obtenues par des taxes globales sur l’utilisation de l’énergie, qui permettront de répondre aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et aux besoins de financement pour les transports en commun, la relocalisation des activités, la réhabilitation de l’habitat, seules voies durables pour sortir du piège qui se referme notamment sur les plus démunis.
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