Joute cérébrale
Le subconscient vu par Nathalie Sarraute et Didier Bezace, pour dénoncer machisme et fascisme.
dans l’hebdo N° 1007 Acheter ce numéro
Didier Bezace et Pierre Arditi avaient déjà travaillé ensemble pour monter une École des femmes d’anthologie, lors d’un lointain festival d’Avignon. Les deux artistes se retrouvent aujourd’hui, comme si le metteur en scène voulait rappeler à l’acteur vedette qu’il faut souvent revenir aux expériences difficiles et même au laboratoire. Arditi, qui a toujours eu un pied dans le spectacle grand public et un autre dans le service public, se prête volontiers au jeu. Cette fois, l’aventure, c’est Nathalie Sarraute et son théâtre du subconscient, avec une pièce un peu moins parfaite que Pour un oui ou pour un non et un peu plus explicative, Elle est là.
Un cadre est exaspéré par sa collaboratrice. Celle-ci est apparemment irréprochable mais elle pense ! Du moins, derrière son silence et son sourire, elle semble avoir une idée dans la tête, qu’elle garde pour elle. Ce que le cadre trouve insupportable : il y voit de la résistance, de l’insubordination. Lui-même est sûr de détenir la vérité. Ce concept identique dans la tête d’une subordonnée lui oppose une insoutenable concurrence. En prenant conseil auprès d’un ami, il entreprend de vider le cerveau de la jeune femme. Il croit y parvenir, mais il échoue finalement à la décerveler. C’est lui qui va changer…
L’air de rien, Sarraute traite du machisme et du fascisme. Elle évoque aussi la nécessaire vie intellectuelle de chacun et la tolérance qui passe par la culture d’une pensée individuelle et secrète. Didier Bezace, qui a conçu un spectacle en gris (tous les habits sont de cette couleur) et en noir (la pensée est une lumière qui troue l’obscurité), est très à l’aise dans ce théâtre souterrain. Pierre Arditi joue la partition dans sa complexité, s’amusant de la variation des humeurs à interpréter, figurant un homme brisé et voûté. Évelyne Bouix n’a à être qu’une apparence, elle le fait sans dévier d’une ligne invisible. C’est un théâtre d’intelligence, qui convainc surtout un public appréciant les frontières entre l’abstrait et le sensible.
Gilles Costaz