«Mon vieux Laurent,…

Bernard Langlois  • 26 juin 2008 abonné·es

«Ce petit mot pendant le Conseil (où je m’emmerde, si tu savais ! Koukouch fait son intéressant, autant dire qu’on en a pour un moment…), avant d’aller retrouver ma gonzesse au Bristol pour le déjeuner. Je voulais te remercier personnellement : elle est rentrée de Libé enchantée de votre accueil, ma Carlita. Elle balisait un peu avant de venir vous voir, elle craignait le traquenard — paraît que ça a drôlement renaudé dans la rédac’ quand tes gauchistes (j’vois d’ici la tronche du Marcelle !) ont appris ton projet de numéro spécial concocté avec Charon, un super bon plan ! Il a fallu en rabattre un peu par rapport à l’idée de départ, mais bon ! Cinq pleines pages plus la “une” sur votre canard qui tâche les pognes, ça vaut largement les grands coups de lèche hebdomadaires sur papier glacé dans Paris-Trash ou Point Virgule (la prochaine fois, faudra qu’on essaye avec L’Huma pour voir) !

«Comme tu as pu le constater, elle n’a pas grand-chose à dire, ma Prima donna ! Elle se sent “concernée”, mais ne sait pas trop par quoi. Pas encore trop française mais assez quand même, de gauche ma non troppo, juste au niveau de l’épiderme, tant que ça ne descend pas plus bas… Merci de ne pas l’avoir poussée dans ses retranchements, il faut la prendre comme elle est : la politique, c’est pas son truc, c’est jamais qu’une belle gosse de riches classe mannequin top niveau, et une chanteuse sans voix à la mode dans le boboland (c’est gentil à ton critique musical de la comparer à Barbara, même moi, j’aurais pas osé !) ; on ne lui demande pas de rivaliser avec Béchamel ou Spinoval, hein ! Déjà qu’elle est arrivée à vous placer Nietzsche, ça m’en a bouché un coin ! (Une seule petite faute, un détail, quand elle vend la mèche sur ma candidature en 2012~: elle a un doute… “… comme j’ai un doute sur le fait d’être vivante dans une heure !” Certes, on est tous mortels. Mais, pour un mortel en bonne santé, la probabilité de calancher dans les soixante minutes qui suivent est tout de même assez ténue, elle aurait pu trouver une formule plus convaincante, mais bon !)

«Donc, mon vieux Mouchard, je suis bien content, dans la mouise où je suis — tu as vu comment je suis surnommé partout : “Sarko la poisse”, “Président la scoumoune”, etc. –, que tu aies accepté aussi gentiment de contribuer à ma reconquête de l’opinion : avec la politique de brute que je mène, la folie du pétrole, les salaires des patrons du Caca-rente, le fiasco des footeux, le “non” de ces pouilleux d’Irlandais (j’en passe), il n’y a guère d’autre choix que de jouer à fond la carte Carla. Je t’avais un peu malmené naguère dans ma conférence de presse, c’est sympa de ne pas m’en avoir voulu (c’est vrai que ça t’a donné l’occase de pondre un méchant petit bouquin qui a dû bien se vendre, hein !).

«Ah ! Mon ministre étranger aux Affaires a fini son prêche, je te laisse, ça va être au tour de Cochonnet l’Expulseur, qui est tout content et fiérot de ses résultats (tu as noté que ma Carla n’aime pas les expulsions, ni les tests ADN obligatoires, mais elle aime beaucoup Cochonnet — que mon ex ne supportait plus –, tout est donc pour le mieux dans le meilleur des Élysées !).

«La bise, ma couille, à bientôt.

«Nico»

«Mon grand fou,

«Je sais, on avait évoqué la question au cours de cette soirée avant ton départ, où on avait pas mal biberonné, si je me souviens bien… J’avais cru que tu blaguais. Mais comment as-tu pu te lâcher comme ça, devant tant de gens rassemblés, et un soir de quasi-deuil national, en plus ? Ma parole, tu t’es pris pour Sarko ! Tu penses si j’étais à l’aise, moi, en pleine émission, devant mes invités ! La France aurait gagné, encore, ça pouvait passer. Mais tu sais comment sont les supporters : déjà qu’ils te rendent responsable du désastre, c’était pas le moment de leur donner des bâtons supplémentaires pour te faire battre.

«Bon, le mal est fait. On verra plus tard la suite à donner à cette affaire, quand tu seras rentré. Je ne te cache pas que ça va dépendre de la façon dont tu te sors de ton mauvais pas devant les gros pardessus de la fédé.

«Sois ferme sur les prix, mon Ray, tu sais que je n’aime pas trop les losers… Et bon courage.

«Ton Estelle»

«Mon cher camarade,

«C’est sûr que ce péteux de Mailly (le Fo-frère !) ne nous a pas aidés en refusant de manifester avec nous. Mais faut reconnaître que notre dernier défilé (dont je m’étais défilé, ah, ah, avec une bonne excuse, hein !) n’a pas été un franc succès. Les copains, ici, à Montreuil, ont tendance à tirer la gueule. Je suppose que c’est pareil chez toi à Belleville. Tu vois, je me demande si notre stratégie du saucissonnage ne commence pas à sentir un peu l’éventé. J’en parlais encore hier avec Nicolas : les gens ont toutes les raisons du monde de descendre dans la rue, on ne leur a jamais autant tapé sur le crâne que depuis six mois. Eh bien ! On arrive quand même à éviter l’explosion et on aura passé le printemps sans encombre, à coup de manifs traîne-savates catégorielles. Mais les derniers jours ont été calamiteux, et le Séraphin Lampion ne nous a pas facilité la tâche en tordant comme il l’a fait le bâton de la durée du travail ! Déjà que l’accord passé avec lui était limite, dans le registre de la collaboration de classe, ça rouscaillait ferme dans nos boutiques respectives, mais, là, le salopiaud a fait fort (comment il disait, déjà Fillon ?~: “Maçon, je veux bien ; franc, j’ai du mal à le croire !”).

«Je ne sais pas toi, mais moi je sens monter comme une grande colère : contre le pouvoir, certes ; mais aussi contre nous. Sais-tu qu’on se fout de toi sur les blogs, à la suite de ton coup de gueule : “Chérèque se fâche tout jaune !”, qu’ils disent. Par ailleurs, je te signale que circule une pétition appelant à un grand mouvement unifié des luttes [[Lettre ouverte de masse aux états-majors syndicaux: «Face à la casse généralisée des acquis populaires, seule la construction d’une action déterminée “Tous ensemble et en même temps” permettra de stopper la rupture sarkozyste et de remettre la France sur la voie des libertés démocratiques et du progrès social !»

Pétition : “Tous ensemble !” Nos gars en ont marre, je te dis, du “syndicalisme d’accompagnement”. Heureusement que les vacances ne sont plus très loin…

«Je te propose qu’on se voie d’urgence, toi, moi, et Laurence. Dis-moi tes disponibilités.

«Amitiés syndicales, Barbapoux.

«Bernard»

«Salut, le chevelu,

«De quelle Laurence tu parles ? La belle cylindrée qui remplace PPDA, ou notre copine de la rue Pierre Ier ? (Nâan, je blague, c’est plus fort que moi, mon papa à moustaches était un rigolo, et j’ai fait mes études en Lorraine, chez les Schtroumpfs, ça laisse des traces…) Je veux bien qu’on lui demande un rancard, à notre copine, mais je crains qu’elle ne soit un peu débordée ces temps-ci : elle répète sa pièce avec Gautier-Sauvagnac, tu sais ? La reprise de la comédie à succès : Comment faire croire que t’as pris tout ce pognon sans que je m’en aperçoive ? Et puis elle va nous dire qu’elle s’est déjà mouillée, en mêlant ses critiques aux nôtres contre les mauvaises manières de l’agent d’assurances (je ne suis pas sûr que ça ait contribué à redorer notre blason auprès des masses, du reste !).

«Je crois qu’il ne faut pas dramatiser. Les gusses râlent, d’accord, ce n’est pas la première fois, on a déjà pas mal épuré, toi comme moi ; les blogs ironisent ? Soit, mais c’est toujours la télé et la PQR qui façonnent l’opinion, et de ce côté-là on est tranquilles ! Avant que les hordes gauchistes et leur postier nous déquillent, l’eau aura passé sous les ponts. Et puis, qu’est-ce qu’ils veulent, les purs et durs, avec leur “unification des luttes” ? La grève générale ? Laisse-moi rigoler ! Tiens, tu devrais lire le bouquin de Jack London [^2] qu’on vient de rééditer (les anars, forcément), je ne connaissais pas. London, je croyais que c’était un mec qui écrivait des histoires de clébard pour les mômes ( Lassie chien fidèle, des trucs comme ça : non, Croc-Blanc plutôt, je me souviens, je l’avais quand j’étais petit, dans la collection Idéal-Bibliothèque, on a toujours eu un idéal, chez nous, ha, ha !), eh bien, il faisait aussi de la politique, un foutu gauchiste aussi çui-là !

«Bon, j’appelle notre Lolo et je retiens chez Lasserre, d’ac’ ?

«À bientôt, mon camarade !

«François (qui se fâche tout jaune, et ça te fait rire !)»

«Mon cher Alain,

«Te dire en quelques mots comme j’ai apprécié tes coups de patte au nuisible de l’Élysée sur sa politique de Défense. Le seul point sur lequel on ne peut pas lui donner tort, c’est quand il dit que ça ne doit pas être une “variable d’ajustement de l’aménagement du territoire” (quelque chose comme ça). Sauf que moi, en pensant à tous les maires et élus locaux de tous bords en train de grimper aux rideaux, j’aurais enveloppé les choses dans du papier de soie… Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt : l’essentiel de ce que propose l’agité, c’est l’alignement sans phrase sur les Ricains. Comme tu l’as fort bien dit lors de ton colloque de la Fondation pour l’innovation, la réintégration “sans conditions” dans l’Otan relève du “marché de dupes”. Avec, comme gage du retour à la niche, l’envoi de troupes supplémentaires dans le merdier afghan, pour relever les GI’s dans l’un des coins les plus exposés. Et cette baudruche de Kouchner qui parle “d’afghanisation du conflit” ! Ça lui rappelle rien, cette expression, au soixante-huitard humanitaire ? La “vietnamisation…” Et c’est pas l’éleveur de bourrins qu’ils ont mis à la Défense qui va relever le niveau : découvre tout en lisant la presse, Léon Morin Traître.

«J’ai vu que ça grogne aussi pas mal dans les rangs des officiers supérieurs : “gadgets”, “lubies”, “impostures”, rien que des mots aimables !

«Ne t’a pas échappé non plus le choix de la date pour cette ultime rupture avec la politique du Général : la veille du 18~juin, de sorte que les journaux annonçaient et commentaient la nouvelle le jour anniversaire de l’Appel. Ce type est vraiment un tordu, je te dis : c’est pas qu’il a “cinq ou six cerveaux” , comme dit l’autre énamourée, il n’en a qu’un, comme tout le monde, mais tellement entortillé qu’on croirait un gros intestin — si tu vois ce que je veux dire. Quand je pense que ma situation judiciaire m’oblige à faire des ronds de jambe à cet enfoiré mondain ! Enfin, je me suis vengé en annonçant que je n’irai pas au défilé du 14~juillet, rapport au potentat de Damas, que je ne tiens pas à côtoyer : ça déplairait à mon logeur (qui est plutôt à la coule pour les loyers).

«Allez Alain, porte-toi bien, la bise à madame (j’espère que le crayon va toujours ?) et merci encore. Tu es bien le meilleur d’entre nous !

«Jacques»

P.c.c. B. L.

P.-S. :~CITATION

*«Hier, le centre de rétention administratif (CRA) de Vincennes a brûlé.

«Il s’agissait, comme tu sais, de l’un de ces hideux camps où se parque le gibier humain que le régime fait rafler.

«(J’espère, très sincèrement, que tu pleures d’une rage et d’une honte incandescentes, quand tu essaies d’imaginer la désespérance dégueulasse des sans-papiers qui ont foutu le feu à leur enfer.)

«Je voulais faire sur cet incendie un assez long billet, quand je suis parti de là-bas — un peu après 20~heures.

«Puis : de zélés fonctionnaires.

«Avec la même application que d’autres mirent naguère à d’autres occupations.

«Ont chargé leurs proies, enserrées, dans leurs bétaillères — des cars.

«Pour les transporter vers d’autres camps de la honte.

«(Celui de Nîmes, celui de Lille, pour ce qu’on en sait.)

«L’ami Nico, resté sur place, dit que c’était “une vision abjecte”.

«Je vais pas en faire un long billet.

«Regarde : la nuit descend.

«Un régime d’infection nous empoisonne, jour après jour.

«Nous ?

«On est un peu courts, à se payer de mots.»*

C’est vrai, Seb, on est un peu courts.

(Sébastien Fontenelle, qui alimente maintenant son «feu» sur Bakchich, www.bakchich.info)

[^2]: «Les revendications des syndicats avaient toutes été acceptées. Le télégraphe fonctionnait à nouveau. Les patrons avaient cédé. Il n’en restait plus un seul à San Francisco, si bien que le général Folsom avait parlé en leur nom. Les trains et les bateaux à vapeur reprendraient leur service le lendemain matin. Tout rentrerait dans l’ordre dans les plus brefs délais. Telle fut la fin de la grève générale. » Jack London, Grève générale (Nouvelles, 1909), illustrations de Romuald Gleyse, Libertalia, 100~p., 8~euros.

Edito Bernard Langlois
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