Pas guérie de l’apartheid

Après les vagues de violences xénophobes qui ont secoué
le pays, les autorités ont ouvert des camps pour accueillir
les réfugiés. Le bilan est lourd. Analyse.

Mathilde Azerot  • 5 juin 2008 abonné·es

L’Afrique du Sud voit ressurgir ses vieux démons. Les attaques xénophobes visant les travailleurs étrangers qui ont éclaté le 11~mai dans les quartiers populaires de Johannesburg avant de se propager dans le reste du pays ont fait 62~morts et 670~blessés selon la police. Cette explosion de violence a mis au jour d’anciens clivages qui hantent la première puissance économique africaine. «Cette vague de violence n’est pas la manifestation soudaine d’une xénophobie récente, mais l’apparition au grand jour d’une xénophobie latente qui a commencé à se manifester pratiquement dès les premières années de la Nouvelle Afrique du Sud», analyse Denis-Constant Martin, directeur de recherche à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, au Centre d’études d’Afrique noire.

L’abolition de l’apartheid, en 1991, et l’accession de Nelson Mandela au pouvoir avaient suscité de profonds espoirs chez des dizaines de milliers de travailleurs du continent entrevoyant des possibilités de travail dans un pays tout juste libéré du joug de la domination blanche. «La présence d’étrangers africains en Afrique du Sud est ancienne, des travailleurs migrants de la région immédiate sont venus s’installer dès les années~1930, explique Denis-Constant Martin. Mais l’afflux massif de travailleurs étrangers vient avec la levée de l’apartheid, où l’immigration d’étrangers africains a été facilitée, et les contrôles desserrés. Il y a effectivement eu une politique plus ouverte sur le continent, dans la pratique en tout cas, car le droit est toujours resté restrictif.» Mais c’est surtout à la fin des années~1990 que l’immigration s’intensifie avec la crise politique et économique au Zimbabwe. La réforme agraire mise en œuvre par le régime de Robert Mugabe provoque la fuite d’un grand nombre de Zimbabwéens et leur émigration vers l’Afrique du Sud. L’arrivée de ces migrants suscite très vite l’animosité des Sud-Africains les plus pauvres.

Car la proclamation de l’égalité entre les Blancs et les Noirs n’a pas enrayé, loin s’en faut, les disparités qui affectent les différentes composantes de la population, à commencer par le problème du chômage. «Depuis le tournant libéral de l’économie sud-africaine, opéré à la fin des années~1990, les inégalités se sont accrues, incontestablement, considère Denis-Constant Martin. On estime que 40~% au moins de la main-d’œuvre potentielle n’a pas de travail régulier, ce qui concerne plus de la moitié des jeunes gens.» Les frustrations accumulées se cristallisent sur les quelque quatre millions d’étrangers accusés de voler le travail des Sud-Africains et d’être responsables de la criminalité galopante qui gangrène le pays. Selon Denis-Constant Martin, «un autre facteur est à prendre en compte pour comprendre cette poussée de violence. Plus que de nationalisme, il s’agit du chauvinisme sud-africain. Les Sud-Africains ont tendance à avoir le sentiment d’être supérieurs aux autres Africains. Cela se manifeste par des blagues, des attitudes, et c’est très frappant lorsqu’on lit la presse.» Enfin, l’hostilité grandissante qui anime les Sud-Africains à l’égard de la classe politique, ainsi que l’incapacité de cette dernière à répondre aux aspirations de sa population, empêche tout règlement politique. « Ce mécontentement, lié au fonctionnement du système politique, ne parvient pas à trouver une expression», estime-t-il. Face au Congrès national africain (ANC), considéré comme le parti historique de la nation, le principal parti d’opposition apparaît comme étant celui des conservateurs et des Blancs. L’alternative n’existe pas.

«Si l’on combine l’impossibilité de canaliser un mécontentement latent causé par les politiques économiques et sociales du gouvernement et ce chauvinisme sud-africain, on comprend que, quand les conditions conduisent à une explosion, elle soit dirigée vers les étrangers» , conclut Denis-Constant Martin. Des comportements qui ne se rencontrent pas qu’en Afrique du Sud.

Monde
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