Asile aux Farc : que vaut la parole de Sarkozy ?

Alors que Nicolas Sarkozy se déclare prêt « à accueillir les membres des Farc qui renonceraient à la lutte armée », l’Italienne Marina Petrella, réfugiée en France depuis 1993, se meurt en prison.

Olivier Doubre  • 10 juillet 2008 abonné·es

Mercredi 2 juillet, à l’Élysée, en direct sur ­toutes les télévisions, Nicolas Sarkozy se félicitait de la libération d’Ingrid Betancourt devant ses enfants et déclarait : « La France est prête à accueillir les membres des Farc qui accepteraient de renoncer à la lutte armée. » Étrange promesse lorsqu’on sait qu’une Italienne, ancienne membre des Brigades rouges, réfugiée en France en vertu d’un engagement identique de l’un des prédécesseurs du Président, François Mitterrand, est actuellement en train de croupir à la prison de Fresnes. Condamnée à perpétuité en Italie pour des faits remontant à près de trente ans, elle était, comme quelques centaines d’autres, venue reconstruire sa vie ici, en signalant dès son arrivée en 1993 sa présence aux autorités françaises. Des autorités qui lui avaient délivré une carte de séjour en bonne et due forme, et, quelques années plus tard, un diplôme d’assistante sociale, avant de l’embaucher dans plusieurs de leurs administrations locales [^2]
C’était un samedi d’avril 1985 : François Mitterrand avait répondu à l’invitation de la Ligue des droits de l’homme, qui, pour la première fois de son histoire, conviait un président de la République à intervenir à son congrès annuel. Au milieu d’un discours qui saluait « l’indépendance à l’égard de tous les pouvoirs de la plus ancienne association de défense des droits de l’homme » en France, il annonça que les Italiens venus se réfugier en France seraient « à l’abri de toute sanction par voie d’extradition » s’ils avaient effectivement « rompu avec la machine infernale dans laquelle ils s’étaient engagés ». Il prévenait toutefois que si l’un d’entre eux trompait la France, la sanction serait immédiate. Depuis, aucun de ces réfugiés n’a renié sa parole ni sa décision d’abandonner la violence politique.

Illustration - Asile aux Farc : que vaut la parole de Sarkozy ?


Nelly Karina Avila, membre des Farc, s’est rendue le 19 mai 2008.
Arboleda/AFP

François Mitterrand avait bien compris l’enjeu pour l’Italie d’offrir une porte de sortie à ces militants d’extrême gauche qui, au cours des « années de plomb », marquées notamment par des attentats aveugles de groupuscules néofascistes manipulés par l’État italien lui-même, s’étaient en retour engagés dans la voie de la violence armée. Le président français avait d’ailleurs pu constater que le gouvernement italien de l’époque, dirigé par le socialiste Bettino Craxi, n’était pas forcément mécontent de la décision française, alors que toute mesure d’amnistie était, en Italie, politiquement impensable. Et François Mitterrand d’ajouter devant les membres de la Ligue des droits de l’homme : « La vraie question politique que pose le terrorisme est, certes, de savoir comment on y entre, mais surtout comment on en sort »…

Il semble que Nicolas Sarkozy l’ait compris pour les Farc, groupe armé toujours en activité dans une Colombie où le vote d’une mesure d’amnistie semble, là-bas aussi, inenvisageable. Mais les membres des Farc qui abandonneraient la lutte armée et viendraient en France devraient peut-être se méfier, puisque l’État qui les accueillerait a déjà renié sa parole donnée à d’autres anciens activistes, alors que leurs faits d’armes datent de plus d’un quart de siècle. La Ligue des droits de l’homme rappelait ainsi cette semaine, dans un communiqué, que le président de la République, « en prenant l’engagement d’offrir l’asile aux guérilleros des Farc, quels que soient les crimes qu’ils viennent de commettre, est pleinement dans son rôle : il ­comprend la nécessité de contribuer à l’issue d’une tragédie politique ».
Et logiquement d’ajouter : « C’est exactement ce qu’a fait François Mitterrand en promettant aux membres des Brigades rouges italiennes, il y a plus de vingt ans, que la France les accueillerait et ne les extraderait pas s’ils renonçaient définitivement à toute violence politique. Les victimes des attentats des Brigades rouges ont été infiniment moins nom­breuses que celles des Farc, mais l’engagement présidentiel avait le même sens et la même raison ­d’être. » Aussi, peut-on à bon droit se demander : que vaut la parole de la France, dans la bouche de Nicolas Sarkozy, si elle est donnée aux uns et reprise aux autres ?

On le sait, Marina Petrella, mère d’une petite Française âgée d’à peine 10 ans, est en train de se laisser mourir de désespoir, entre sa cellule de la prison de Fresnes et une chambre de l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Elle ne s’alimente plus, n’a plus la force de descendre au parloir et ne reçoit donc plus de visites de sa famille depuis plusieurs mois. Tous ses amis et soutiens craignent aujourd’hui très sérieusement pour sa vie, brisée par une décision inique. La menace de passer le restant de ses jours derrière les barreaux en Italie, totalement absurde puisqu’elle ne représente plus aujourd’hui aucun danger pour la société italienne, n’est, selon la LDH, que « la poursuite d’une vengeance infinie prônée par le populisme pénal comme mode de gouvernement » , de la part d’un « pays voisin qui se montre toujours incapable de regarder en face son histoire sociale et de trouver une issue politique au conflit ». Or, l’Italie a bien connu à cette époque « une guerre civile de basse intensité », selon le président de la Commission d’enquête parlementaire italienne sur les années de plomb, reprenant là une formule de l’écrivain Erri de Luca, lui-même ancien militant d’extrême gauche ayant refusé de passer à la lutte armée.

François Mitterrand, malgré une situation juridique d’abord précaire offerte aux réfugiés italiens, avait voulu contribuer à tourner cette page douloureuse de l’histoire transalpine. Nicolas Sarkozy semble lui-même vouloir le faire avec la guerre civile, cette fois de grande intensité, qui dure depuis plus de quarante ans en Colombie. Il aurait dû d’abord respecter la parole de la France, et refuser d’extrader Marina Petrella. Tel n’est pas le cas. Au moment de mettre sous presse, nous apprenons que Nicolas Sarkozy a décidé de l’extrader, tout en demandant au président du Conseil, Silvio Berlusconi, de solliciter sa grâce auprès du chef de ­l’État italien, Giorgio Napolitano. ­Berlusconi lui aurait donné son accord.

[^2]: Pour plus de détails sur le parcours de Marina Petrella, cf. Politis n° 1007 et le site du comité de soutien des réfugiés italiens : .

Monde
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