L’avenir n’est plus ce qu’il était…

Experts néolibéraux, scientistes ou prophètes sectaires, ils ont tous en commun de nous enseigner le fatalisme et la résignation. S’inventer un autre avenir est donc un acte de liberté. Un grand dossier d’été à lire dans notre rubrique **Société** .

Denis Sieffert  • 24 juillet 2008 abonné·es
L’avenir  n’est plus ce qu’il était…

L’avenir n’est-il plus qu’un bon souvenir ? ­L’avenir prévisible s’entend. L’avenir radieux du « toujours plus » et du « toujours mieux ». La question pourrait ­n’être que plaisante. Mais elle n’est pas que cela. Et c’est même l’un des problèmes politiques majeurs de notre époque. Le fil de l’histoire, celui d’Hegel et de Marx, a été rompu. En France, nous datons cette rupture du milieu des années 1970, avec la fin de ce que Jean Fourastié avait appelé « les Trente Glorieuses ». Elle coïncide avec l’avènement de l’écologie. C’est-à-dire avec la critique du progrès et la prise de conscience que notre monde a des ­limites dans l’espace et dans le temps. Et que l’idée de « projet » est en crise.

En disant cela, on mesure d’ailleurs à quel point une pensée qui niait ces ­limites, pourtant si évidentes, procédait de la magie. Avec la crise des énergies et bientôt la compréhension des périls climatiques, il ne s’agissait plus seulement de faire triompher un avenir souhaitable contre un autre honni (« socialisme ou barbarie »), mais d’assurer un avenir tout court face au néant. Une bataille idéologique s’est alors engagée entre ceux qui, au nom de la responsabilité humaine, en appellent à des changements de comportement, et ceux qui veulent croire religieusement à une science miraculeuse. Pour ces derniers, point n’est besoin de changer nos habi­tudes, car la science trouvera toujours, in extremis, quelque remède pour ­vaincre les périls qui nous guettent.

Par une sorte de contresens édifiant, les seconds se gaussent souvent des premiers en les qualifiant de « Cassandre », oubliant un peu vite que, dans la mythologie, la Cassandre de Troie, celle qui conseilla aux Troyens de ne pas donner aux Grecs le prétexte d’une guerre qui causerait leur perte, avait vu juste. Même s’il faut convenir que nos pythies écologistes cèdent parfois au catastrophisme, il n’en demeure pas moins vrai qu’elles ont très souvent raison, et tendanciellement raison.

Ce qui nous intéresse ici , c’est cet étrange renversement philosophique que l’opposition entre écologistes et scientistes donne à voir. Avec le principe de précaution, ce sont les premiers qui sont souvent les plus rationnels. Et qui nous parlent le mieux de liberté. Car après tout, avec eux, quitte à être trop alarmistes, nous avons le choix. C’est nous et personne d’autre qui déterminons l’avenir. Et ce sont les scientistes (ne disons surtout pas « les scientifiques ») qui invoquent une sorte de fatalité : on verra bien ! On finira bien par trouver le remède à nos maux ! En attendant, continuons comme si de rien n’était !

Mais cette dualité , la plus importante à nos yeux, n’est pas la seule que nous tentons d’observer dans les pages qui suivent. Une autre nous intéresse : celle qui oppose les experts, les économistes, les politiques, les stratèges, tous libéraux ou néolibéraux d’un côté, à ceux qui leur résistent par scepticisme, refus du conformisme et esprit de combat. Ces experts, nous les passons en revue. Depuis les préposés au Plan, dans les années 1960-1970, jusqu’aux prophètes du « choc des civilisations » et de « la fin de l’histoire ». Ceux-là nous prédisent un avenir auquel ils participent activement. Ils nous disent qu’il n’y a pas d’autre avenir possible que celui tracé dans le cadre du néolibéralisme, de la substitution des logiques religieuses aux logiques sociales. Ils nous réapprennent le destin. C’est-à-dire la soumission. Leurs « prophéties » sont des actes politiques qui nous conditionnent. On n’aura évidemment pas trop de mal à apercevoir le lien entre les deux dualités évoquées ici. Les prophètes du néolibéralisme sont aussi les productivistes qui, au nom d’une science détournée (le scientisme), veulent que rien ne change dans l’ordre du monde, sinon dans le sens d’une aggravation de ce qui est déjà.

Illustration - L’avenir  n’est plus ce qu’il était…


WHITNEY/JUPITERIMAGES – Nous sommes tellement curieux de connaître l’avenir que nous sommes prompts à imaginer les hypothèses les plus folles…

Et tant qu’à traiter largement de cette question de notre rapport à l’avenir, nous avons demandé à quelques grands auteurs de débusquer les impostures : Jacques Testart nous dit que la génétique n’est pas un horoscope qui révélerait dès la naissance les futurs délinquants ; Pierre Dardot nous démontre que le marxisme n’est pas un messianisme ; Jean-Christophe Attias nous parle du rapport de la religion à l’avenir ; Denis Guedj nous invite à réfléchir sur ces prévisionnistes qui, dans l’histoire, ne savent penser que le « même » et jamais les ruptures ; Emmanuel Todd nous dit que la démographie peut prévoir sans jamais perdre la raison. Et ce dossier aurait été incomplet si l’on n’avait pas interrogé quelques visionnaires : Aldous Huxley, George Orwell, Anthony Burgess… Les grands auteurs de science-fiction sont aussi des Cassandre inspirées. Leurs mondes sont souvent rationnels, trop rationnels. Ils nous mettent en garde contre des périls bien réels qui guettent nos démocraties et parfois notre intégrité.

Ce dossier étant aussi conçu pour vous amuser, nous nous sommes livrés à quelques facéties. Un horoscope dans Politis … Pourquoi pas ? Et les cartes du tarot, qui voient toujours quelqu’un entrer dans notre vie… Et une fiction sur la mise aux enchères du dernier baril de pétrole. Mais ce dossier étant aussi tout ce qu’il y a de plus sérieux, nous sommes passés par le divan indispensable du psychanalyste, que nous avons interrogé sur le pourquoi de cette quête tellement humaine. Pour quelle raison, depuis la pythie de Delphes jusqu’à Élisabeth Tessier en passant par Nostradamus, voulons-nous toujours savoir la « suite » et prévoir l’imprévisible ? Il y aurait là comme un fantasme d’immortalité.
Et pourquoi sommes-nous si fragiles devant ce que nous ne pouvons pas savoir, quitte à tomber entre les mains d’experts ou de « prophètes » qui veulent surtout nous convaincre que la liberté n’existe pas ? Le psychanalyste Gérard Bayle nous dit d’où vient cette fragilité et jusqu’où elle peut nous mener. Parfois à des pathologies ­graves. Quelquefois à des dérives ­sectaires. Mais, plus souvent encore, à être la proie de manipulations politiques qui nous ­invitent à la résignation collective.

Société
Temps de lecture : 6 minutes

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