Mission impossible
Le rapport Copé, ébauchant la réforme de l’audiovisuel public, affiche de belles promesses de pluralisme, de transparence et de qualité, mais il est truffé de propositions aléatoires ou inapplicables.
dans l’hebdo N° 1009 Acheter ce numéro
Quatre mois de réflexions et, mine de rien, guère de surprises. Le rapport de la commission Copé sur la réforme de l’audiovisuel public, livré le 25 juin et revu par Nicolas Sarkozy, correspond à ce qui était attendu. Il s’avance joyeusement et pourvu de bonnes intentions : sortir de la dictature de l’audimat, pour mieux informer, cultiver, distraire. Avec pléthore de belles promesses : « L’audience doit être une ambition et non une obsession […]. Le service public doit être exemplaire […]. Priorité donnée à la création […]. L’indépendance de l’information doit faire référence en matière de pluralisme et de transparence. » Entre ces lignes savoureuses, au long de quatre-vingts pages, quelques directives et des mesures phares sur le financement et la gouvernance.
En attendant le projet de loi pour la rentrée, la réforme commence par une refonte des structures : France Télévisions, constituée de dix-huit entités, devra se muer en un « média global » . Le tout-en-un, pour faire face à « un contexte de concurrence accrue » , en préservant « les intérêts des salariés, sans suppression d’emplois ». Jusqu’à preuve du contraire, on n’a jamais vu de concentration sans licenciement. Si l’identité des chaînes est préservée, avec France 2 en emblème de « chaîne populaire » , France 3 serait réorganisée en sept régions au lieu des treize actuelles, pour un méli-mélo de décrochages entre le national et les régions. Là encore, on voit mal l’opération s’effectuer sans suppressions d’emploi dans les rédactions.
En termes d’idées, plus discrètes, le rapport préconise d’éclairer le téléspectateur. Mission bien légitime du service public. En l’occurrence, l’exemple avancé est l’Europe. Selon le rapport Copé, il s’agit de lutter contre les incompréhensions, les perceptions inexactes qui frappent les citoyens, et donc de les faire adhérer à l’Europe telle qu’elle est. C’est-à-dire une Europe libérale. « Cette éditorialisation, analyse Serge Regourd, professeur de droit public à l’université de Toulouse-I, paraît contraire aux valeurs du service public, du pluralisme des opinions. Je m’interroge : assigne-t-on à la télévision publique de devenir “la voix de l’Europe” après avoir été la “voix de la France” sous Pompidou ? »
Concrètement, la révolution annoncée en janvier repose sur la suppression de la publicité dans le service public. La commission fixait cette suppression au 1er septembre 2009, entre 20 heures et 6 heures, totalement à partir de janvier 2012. Sarkozy, aussi sec, a décidé la suppression en soirée dès le 1er janvier prochain, totale en décembre 2011. Un manque à gagner avancé de huit mois, donc. En recettes publicitaires, la perte estimée s’élève à 450 millions d’euros dans un premier temps, à 650 millions d’euros en 2011. Faut bien compenser. Et les (fausses) bonnes idées ne manquent pas. Suivant les propos toujours tenus en janvier par Sarkozy, la commission préconisait une taxe de 0,5 % sur le chiffre d’affaires (de 43 milliards d’euros) de la téléphonie mobile et des fournisseurs d’accès à Internet. Sarkozy a poussé jusqu’à 0,9 %. Pour engranger 378 millions d’euros. Ce qui n’est pas du goût des opérateurs, qui vont répercuter ces taxes sur le consommateur. Yves Le Mouel, porte-parole de la Fédération française des Télécoms, a déjà annoncé une augmentation de 12 euros par an et par foyer, et le recours devant les autorités européennes. Assurément, Bruxelles, rétif à ce surplus de taxes, considérées comme « un obstacle à la libre circulation » , pourrait les annuler, parce que téléphonie et Internet sont des « moteurs de croissance ». Tout le système prévu tomberait à plat.
Autre taxe nouvelle, celle sur les chaînes privées, qui « profiteront des transferts de publicité » . Forcément, les annonceurs tournés vers le public vont se reporter sur le privé. Un gain considérable. De fait, on ponctionnerait une certaine somme, 80 millions d’euros selon Sarkozy, qui a fixé le montant à hauteur de 3 % des ressources accrues. Dans la forme, c’est rendre le service public dépendant du privé. Avec ce paradoxe : plus le privé aura d’audience et donc de pub, plus il devra verser au public. En ce sens, dépendant de la bonne santé de ses concurrents, le service public aurait intérêt à perdre des téléspectateurs. C’est déshabiller Paul pour habiller Jacques.
Parallèlement, il faut connaître les dernières mesures accordées au privé : on passe de 6 à 9 minutes de pub en plus par heure. Et l’on accorde une deuxième coupure de pub au cours des fictions. C’est la dérégulation tant espérée par le privé. Elle tombe à pic avec la réforme annoncée. Et TF 1, Canal + et M6, associées, ont déjà affiché leur refus de participer au financement du public.
Tout cela oscille entre le casse-gueule et l’instable. À l’image de ce que préconise, entre autres, le rapport : la création de chaînes thématiques sur Internet (art et architecture, développement durable, emploi, mémoire, santé, sciences et spectacle vivant). On parle de création à moindre coût, mais il n’existe pas d’éléments clairs dans ce financement. Idem pour cette idée de verser directement à France Télévisions la redevance jusque-là affectée à l’INA (80 millions d’euros) et à RFI (60 millions d’euros). Quid des budgets de l’INA et de RFI, alors ? Tant mieux, peut-être, la proposition n’a pas même été évoquée par Sarkozy. Rien n’est dit non plus sur le financement (estimé à 400 millions) des programmes qui vont devoir remplacer les heures de pub supprimées. À moins d’un retour à la mire, il faudra bien remplir l’écran.
Selon Jean-François Téaldi, porte-parole de l’intersyndicale de France Télévisions, qui voit en la commission Copé « une arme de destruction massive » , d’estimations en hypothèses juridiquement aléatoires, « rien n’est assuré ! » Forcément, puisque la redevance reste intouchable. Même son indexation sur l’inflation, suggérée dans le rapport, n’a pas été reprise par Sarkozy. Elle demeure pourtant l’unique financement pérenne du service public. Elle s’élève à 195 euros en Angleterre, 204 euros en Allemagne. 116 euros en France. Loin du dédale de bourre-mou annoncé, seule une augmentation franche aurait garanti un service public digne et capable d’assurer ses missions.
L’autre volet de la réforme repose sur la gouvernance. Le rapport définit un nouveau fonctionnement du conseil d’administration : deux représentants de l’État, deux autres du personnel et huit personnalités « issues du monde de l’entreprise » , désignées par le gouvernement. On pourrait y retrouver Bolloré ou Lagardère… Reste la mesure la plus spectaculaire : la commission avançait un PDG nommé par le conseil d’administration de France Télévisions sur proposition du CSA, celui-ci étant déclaré « conforté dans son rôle » . En réalité, il est réduit à un rôle de validation. Il avait valeur de cordon ombilical. Hypocrite certes, soumis aux pressions. Sarkozy a décidé de nommer lui-même le PDG. Un cas unique en Europe. À l’étatisme gaullo-pompidolien avait succédé le mercantilisme de 1986, avec la privatisation de TF 1 (rappelons que la France est le seul pays européen à avoir privatisé une chaîne publique). Aujourd’hui, il y a concomitance. Le cordon ombilical est resserré, noué. Ainsi soit-il.