Sarkozy soumet France Télévisions

Le rapport de la commission Copé prévoit la suppression progressive de la publicité sur les chaînes publiques, et le financement de celles-ci par le secteur privé. Mais le chef de l’État a décidé seul de les mettre sous sa tutelle. Un dossier à lire dans la rubrique « Médias ».

Christophe Kantcheff  • 3 juillet 2008 abonné·es
Sarkozy soumet France Télévisions

Ce jour-là, il a déjà décidé de tout. Le 8 janvier 2008, alors qu’il donne une conférence de presse que les médias valoriseront en la jugeant d’ « un ton nouveau » , et au cours de laquelle on entend une grande partie des journalistes s’esclaffer à la moindre de ses plaisanteries fines, Nicolas Sarkozy est manifestement satisfait de la petite bombe qu’il s’apprête à lancer : la suppression de la publicité sur les chaînes publiques de télévision. À part lui, personne n’est au courant. En tout cas, ni la ministre de la Culture, Christine Albanel, ni Patrick de Carolis, PDG de France Télévisions, ni les parlementaires UMP, encore moins les électeurs, cette mesure ne figurant pas dans le programme du candidat Sarkozy. Mais peut-être le parrain de son fils Louis, Martin Bouygues, accessoirement patron de TF 1, l’est-il, lui, qui sait ?
Quoi qu’il en soit, dès l’annonce du chef de l’État connue, l’action de la chaîne, dont les résultats sont en chute libre depuis quelques mois, bénéficie d’une envolée, gagnant d’un coup près de 10 % de sa valeur. Tandis que le président de M6, Nicolas de Tavernost, ne cache pas sa joie : « Ce n’est pas un cadeau, il n’est pas anormal que les télés publiques aient des recettes publiques et les télés privées des recettes privées. Il fallait clarifier le rôle de chacun, et c’est la première fois que quelqu’un a le courage [sic] de le faire [^2]. » Les télévisions privées n’ont pas fini de se réjouir des malheurs du service public.

Illustration - Sarkozy soumet France Télévisions


À Toulouse, le 18 juin, des salariés de France 3 font grève pour manifester leur inquiétude, au moment où la commission Copé rédige ses conclusions.
Cabanis/AFP

Pour compenser les 800 millions d’euros dont France Télévisions est ainsi amputé, Nicolas Sarkozy a déjà avancé le 8 janvier la mesure phare qui sera finalement celle qu’il retiendra à l’arrivée, le 25 juin : une taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées et une autre sur le chiffre d’affaires des opérateurs de téléphonie mobile et des fournisseurs d’accès à Internet.
Entre les deux dates, il a installé, le 24 février, une commission chargée de réfléchir à l’avenir de la télévision publique sans pub. À sa tête : Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée. Un ambitieux, un de plus, avec lequel Nicolas Sarkozy entretient de piètres relations, qui se serait saisi de n’importe quelle commission pourvu que cela le fasse mousser dans les médias. C’est bien parti…

Les travaux de cette commission deviennent le feuilleton tragicomique du printemps. Émet-elle une idée qui n’agrée pas le président de la République ? Celui-ci rétorque qu’il n’en sera pas question. La hausse de la redevance, l’une des plus faibles d’Europe, mais dont l’annonce ferait tache au moment où les Français se plaignent de la « vie chère », et où Sarkozy en subit les conséquences dans les sondages, est-elle envisagée par la commission Copé ? Le retour de bâton est instantané. C’est niet . Le patron des députés UMP, penaud, mange son chapeau. Tandis que sa commission prend l’eau : fin mai, puis début juin, les parlementaires socialistes et communistes, qui participaient au collège politique, quittent la mascarade. D’autres membres, du collège des professionnels ont menacé de démissionner, comme la scénariste Sophie Deschamps, ancienne présidente de la SACD, quand d’autres, comme Hervé Chabalier, de l’agence Capa, ont regretté que le rapport final ne sorte pas le service public du sous-financement.

Le 25 juin, c’est l’apothéose. La commission Copé boit le calice jusqu’à la lie en entendant Nicolas Sarkozy corriger comme bon lui semble les solutions qu’elle propose. La mesure la plus emblématique, qui vient de lui et de lui seul : la désignation par l’exécutif du président de France Télévisions, sa confirmation par le CSA et par les trois quarts de l’Assemblée n’étant qu’un pauvre alibi. Comment appelle-t-on ça… Le cynisme décomplexé ?
Le chef de l’État n’a pas oublié non plus les salariés du service public. À quelques heures de la remise du rapport Copé, il a reçu une délégation de l’intersyndicale de France Télévisions pour, notamment, l’avertir que l’encart publicitaire critiquant la suppression de la pub, passé le 24 juin dans le Parisien aux frais du comité d’entreprise de France Télévisions publicité, pourrait valoir à ce dernier des poursuites judiciaires. Des menaces toutes démocratiques…
Nicolas Ier, roitelet des chaînes publiques, voue celles-ci à une déliquescence certaine tant leurs moyens, devenus aléatoires, vont se réduire. Il sera toujours temps d’en céder une au privé, pour renflouer les caisses. Ah ! les chaînes commerciales… Pour elles, c’est Pâques et Noël en même temps. Outre la deuxième coupure publicitaire dans les films et les fictions, et l’augmentation du volume horaire de la publicité, décidées fin mai, les mesures voulues par le chef de l’État aux dépens de France Télévisions devraient leur rapporter plus de 220 millions d’euros. Les copains de Sarkozy adorent le service public.

[^2]: Libération du 9 janvier 2008.

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