Un bébé à tout prix ?

Un groupe de sénateurs préconise d’autoriser la gestation pour autrui. Faut-il y voir l’ultime remède pour lutter contre l’infertilité ou un pas de plus vers l’instauration d’un droit à l’enfant et la survalorisation de la génétique ?

Ingrid Merckx  • 10 juillet 2008 abonné·es
Un bébé à tout prix ?
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Le 25 octobre 2007, la cour d’appel de Paris reconnaît « au nom de l’intérêt supérieur des enfants » que Sylvie et Dominique Mennesson sont bien les parents des jumelles qu’ils ont eues grâce à une mère porteuse en Californie. Ce jugement sans précédent (qui fait l’objet d’un pourvoi en Cassation) met fin à neuf ans d’errance administrative au cours desquels le couple a été accusé « d’enlèvement d’enfants » et « d’adoption frauduleuse ». Depuis, il milite pour que la pratique dite des « mères porteuses » soit autorisée en France.

Illustration - Un bébé à tout prix ?


Faut-il vouloir à tout prix un enfant « de soi », de ses gènes ?
Pallages/AFP

La loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain interdit en effet explicitement la gestation pour autrui au nom de l’inviolabilité du corps humain, du fait qu’il ne peut faire l’objet d’un droit patrimonial, et qu’un élément ou un produit de son corps ne peut faire l’objet d’une rémunération. Prohibée en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Autriche et en Suisse, la gestation pour autrui est tolérée en Belgique et aux Pays-Bas, autorisée et encadrée au Royaume-Uni et en Grèce, ainsi qu’aux États-Unis et au Canada. Certains Français y ont donc recours dans la clandestinité. Ce qui les expose à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende et jette un flou sur l’état civil de leurs enfants. D’où la question : faut-il ouvrir la voie à une légalisation encadrée de la gestation pour autrui ? 53 % de Français pensent que les mères porteuses devraient être autorisées, selon une enquête 2007 de ­l’Agence de la biomédecine.

Un groupe de travail du Sénat a été chargé d’examiner la question. Sans attendre le retour des deux commissions qui l’avaient mandaté, ce groupe constitué de seize sénateurs de tous bords et présidé par Michèle André (PS) a rendu son rapport public le 25 juin. « La dissociation possible entre maternité génétique et maternité utérine remet en cause la règle selon laquelle le droit de la filiation résulte de l’accouchement » , explique ce texte qui recommande d’autoriser la gestation pour autrui sous certaines conditions. Tout d’abord, les « bénéficiaires » doivent être hétérosexuels, mariés ou pouvant justifier d’une vie commune de deux ans. La femme doit être dans l’impossibilité de mener une grossesse à terme. L’un des deux doit être le parent génétique de l’enfant. La ­« gestatrice » ne peut être la « mère génétique », doit avoir déjà été enceinte, ne pourra pas mener plus de deux grossesses pour autrui, ni porter l’enfant de sa fille, et devra être domiciliée en France. Elle ne pourra pas être rémunérée, seulement dédommagée. Elle disposera de trois jours après l’accouchement pour « se rétracter ». Enfin, l’interdiction d’établir la filiation d’enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger est maintenue.

En prévision de la révision de loi de bioéthique en 2009, ces recommandations, qui s’inscrivent dans le cadre de la lutte contre l’infertilité, semblent avoir prêté l’oreille aux principales objections faites à la maternité pour autrui. Un certain nombre reste source de problème : Quid de la marchandisation du vivant et du « tout génétique » ? On trouve dans le rapport les éléments d’un débat qui dépasse les clivages habituels gauche/droite, milieux scientifiques/milieux religieux, progressistes/conservateurs. Illustration : la ligne de fracture entre les philosophes Élisabeth Badinter et Sylviane Agacinski, ­toutes deux auditionnées par le groupe de travail. La première est favorable à une légalisation parce qu’elle considère que porter l’enfant d’une autre peut être un « geste d’humanité » , que l’instinct maternel n’existe pas, et que c’est là, d’ailleurs, un des acquis du féminisme. C’est justement au nom du féminisme que Sylviane Agacinski s’oppose à la gestation pour autrui, qui est pour elle « une forme d’aliénation moderne, obligeant les femmes à considérer leur grossesse comme un travail artisanal » . Dans un entretien paru dans Libération, elle explique que les laboratoires, qui savent fabriquer des embryons mais pas encore des utérus, font des mères porteuses les ­ouvrières d’un nouveau système de production. « On fait passer pour un progrès technique et pour une liberté ce qui représente une exploitation des femmes pauvres par les femmes riches. » La souffrance de personnes stériles venant masquer l’instauration d’un nouveau mode de marchandisation du corps. Réviser la loi fera-t-il barrière aux dérives ou leur ouvrira-t-il la porte ?

« Pour la majorité du groupe de travail, la maternité pour autrui, correctement encadrée, peut être un don réfléchi et limité dans le temps d’une partie de soi. En ce sens, elle est comparable (…) au don d’organes », considère le rapport. Une femme qui a des problèmes d’ovocytes peut devenir mère mais pas une femme qui a des problèmes d’utérus, font valoir les défenseurs des mères porteuses. Mais n’y a-t-il pas une différence de degré entre le don d’ovocytes et la gestation pour autrui ? Entre un don ponctuel et une gestation de neuf mois ? « Père médical » du premier bébé-éprouvette et chef du service de gynécologie obstétrique de l’hôpital Béclère à Clamart, René Frydman se déclare contre la gestation pour autrui. Avec les mères porteuses, « ce qui compte, c’est l’enfant de soi, de ses gènes, explique-t-il dans une tribune parue dans le Monde et qu’il signe avec la psychanalyste Caroline Eliacheff. Mais derrière la souffrance des couples qui ne voient d’autres solutions pour enfanter que la gestation pour autrui, on ne peut pas ne pas remarquer la survalorisation de la génétique ». C’est glisser d’« un bébé quand je veux » vers « un bébé à tout prix ». C’est aussi entériner « la course à l’enfant génétique », qui résulte d’une addition entre les progrès biotechnologiques et une certaine pression sociale…

« La procréation médicalement assistée n’a jamais été conçue comme le support d’un nouveau droit universel à l’enfant », argue le groupe de travail du Sénat. « Aujourd’hui, observe Claude Sureau, professeur honoraire de gynéco­logie obstétrique à l’université ­Paris-V, le développement des techniques débouche sur un accroissement des demandes en matière de procréation médicalement assistée et ­s’accompagne d’une montée en puissance des questions de reconnaissance des origines, d’une part, et du recours à des fichiers génétiques, d’autre part. N’est-il pas temps de poser des limites au projet parental ? » Mais qui va poser ces ­limites ? En exigeant que seul un des deux « bénéficiaires » soit le parent génétique, et en interdisant à la gestatrice de l’être, le groupe de travail du Sénat oublie de mentionner le « parent génétique X » impliqué dans l’affaire. Quid des origines génétiques de l’enfant ? Vérité et parole doivent permettre de surmonter les difficultés liées à la perception d’une filiation complexe par l’enfant, estime le groupe de travail du Sénat. Ce qui sous-tend, dans ce cas, de mettre complètement fin à ­l’anonymat. « Les familles traditionnelles ont fait beaucoup de névroses, de chagrins et de ratages. Avoir des enfants dans d’autres conditions, ce n’est pas plus risqué » , estime Élisabeth Badinter dans Libération.
Ces arguments pourraient appuyer la reconnaissance de l’homoparentalité. Or, les couples homosexuels sont exclus des « bénéficiaires » dans le rapport du groupe de travail du Sénat, de même que les célibataires stériles. Que penser d’une mesure qui ne concerne que les couples hétérosexuels ne trouvant de solution ni dans la procréation médicalement assistée ni dans l’adoption ? L’inégalité de certains devant la fertilité pèse-t-elle plus lourd que l’inégalité d’autres devant la filiation ?

Société
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