Jusqu’où peut-on aller ?

Procréation assistée, fichage médical, clonage… Le Comité consultatif national d’éthique organise un sommet mondial à Paris tandis que le gouvernement prépare les États généraux de la bioéthique et une prochaine révision de la loi.

Ingrid Merckx  • 28 août 2008 abonné·es
Jusqu’où peut-on aller ?

Le discours de Nicolas Sarkozy sur l’origine génétique de la pédophilie et du suicide est en passe de devenir aussi célèbre que celui de Jacques Chirac sur « le bruit et l’odeur ». « J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. » C’était en mars 2007, dans un entretien à Philosophie magazine. Si ces propos n’ont pas empêché l’ancien ministre de l’Intérieur, déjà responsable de la loi sur la prévention de la délinquance suggérant un dépistage précoce des troubles de conduite chez l’enfant, de se faire élire à la tête de l’État, c’est qu’une bonne partie de la société n’est pas loin de croire à l’origine génétique des déviances et des maladies. Croyance ou fantasme qui ne s’appuie sur aucune étude scientifique fondée et assure durablement dans les esprits la prédominance de l’inné sur l’acquis.
« La vision d’un gène commandant un comportement complexe tel que ceux conduisant à l’agressivité, à la violence, à la délinquance, à la dépression profonde avec dérive suicidaire est ridicule et fausse. Il n’y a pas de gène du destin malheureux » , a pourtant insisté le généticien Axel Kahn. Le gène compte, mais ne condamne pas. Dans le dossier d’été de Politis sur l’avenir, le biologiste Jacques Testart, directeur honoraire de recherches à l’Inserm et membre de la Fondation Sciences citoyennes, rappelle qu’une « véritable mythologie a été créée autour de l’ADN, entraînant une vénération un peu apeurée des citoyens ». Illustration avec l’instauration de tests ADN pour les candidats à l’immigration…

Illustration - Jusqu’où peut-on aller ?


Une technicienne prépare une analyse d’ADN végétal pour détecter la présence d’OGM dans un produit. PERRY/AFP

Le succès du fantasme génétique en ce début du XXIe siècle est à chercher ailleurs. Dans une variante biologisante de l’individualisme, qui essaime largement, depuis les évangélistes américains jusqu’en France. Ce qui prouve au moins deux choses : que les politiques sont bien prompts à s’appuyer sur des pseudo-savoirs scientifiques pour valider leurs propres thèses ; et que la société fait preuve d’un cruel manque de conscience éthique.

C’est la raison d’être du CCNE, qui, âgé de 25 ans, aspire à ce que toute la société se saisisse des questions éthiques. Les 1er et 2 septembre, il réunit pour un sommet mondial à Paris la majorité de ses homologues étrangers pour réfléchir à des questions comme les transplantations d’organes, l’aspect éthique des dossiers électroniques, les dépistages et analyses génétiques ou la fin de vie (voir encadré). L’occasion d’échanger des arguments, également avec des pays qu’on entend peu, et non de définir des normes éthiques internationales, qui poseraient en elles-mêmes un problème éthique.
En septembre, également, le CCNE doit remettre au Premier ministre un mémoire identifiant « les questions, les problèmes philosophiques et les interrogations éthiques qui pourraient impliquer une évolution de la législation » . L’idée étant de préparer les États généraux de la bioéthique de 2009, en vue de la révision de la loi de bioéthique, prévue en 2009 mais repoussée en 2010. Le CCNE n’est pas la seule officine contactée. L’Agence nationale de la biomédecine doit remettre, également en septembre, un bilan de l’application des textes de la loi sur la bioéthique de 2004 et une étude juridique comparée des différentes pratiques dans les autres pays. Le Conseil d’État, a, pour sa part, jusqu’à la fin de l’année pour proposer une réflexion globale sur ce texte.
« La loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique a prévu qu’elle ferait l’objet d’un nouvel examen d’ensemble par le Parlement à horizon de cinq ans, rappelle François Fillon dans sa lettre au Conseil d’État. L’évolution accélérée des technologies biomédicales comme les modifications apportées par nos principaux voisins européens à leurs propres législations nous invitent aussi, dans un contexte de mondialisation des enjeux de santé et de recherche, à réévaluer notre dispositif législatif. » Le Premier ministre recommande l’examen particulier des questions suivantes : l’assistance médicale à la procréation et le diagnostic prénatal et préimplantatoire : quelle garantie concernant le principe prohibant « toute pratique eugénique » ? ; une exception pour certains cas de mère porteuse ? ; mieux indemniser le don d’organes et d’ovocytes ? ; soumettre les tests de paternité au contrôle d’un juge ? ; changer de régime concernant la recherche sur l’embryon et les cellules souches surnuméraires ? ; quid du clonage thérapeutique ? ; et quel statut pour le corps humain après la mort ?
Autant de sujets soulevés par la révision de la loi, ainsi que d’autres, qui dépassent le cadre strict du texte, tels que le fichage génétique, les nanosciences et nanotechnologies, l’euthanasie, les médecines prédictive et réparatrice, la commercialisation du vivant et les relations entre les comités d’éthique et les politiques publiques. Quel intérêt, en effet, si les pouvoirs publics ne font que « consulter » le comité ? Quel intérêt si la société s’en tient à cette consultation ? « C’est par leur exemplarité plus que par leur nature même que valent les conclusions des travaux d’un comité d’éthique, écrit Axel Kahn dans Et l’homme dans tout ça ? (Laffont). Il revient alors aux citoyens concernés de se réapproprier la question posée et, à l’aide du matériel intellectuel fourni par le comité d’éthique, au travers du débat démocratique, de se forger eux-mêmes une opinion suffisamment éclairée. » Et le généticien de rappeler le chercheur, l’homme politique et le citoyen à leur *« devoir de conscience ».
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Société
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