Le scénario géorgien inquiète les Kosovars
La crise en Géorgie présente bien des similitudes avec celle du Kosovo. Les habitants de ce pays l’ont suivie avec une particulière attention. Envoyé spécial à Pristina, Claude-Marie Vadrot
dans l’hebdo N° 1015 Acheter ce numéro
Les responsables kosovars suivent avec de plus en plus d’inquiétude ce qui se passe en Géorgie, et les nombreux journaux locaux en tirent des titres avec des points d’interrogation. En effet, au-delà de ce que l’on peut penser de l’évolution de ce « pays » qui n’en est pas vraiment un, beaucoup voient, dans cette crise gagnée par la Russie, une préfiguration de l’indifférence qui pourrait régner en Europe si, avec l’appui des Russes qui n’ont pas reconnu l’indépendance du Kosovo, les Serbes décidaient de revenir en force dans un territoire de 10 000 kilomètres carrés qui se débat dans d’extraordinaires difficultés économiques, n’agitant qu’une indépendance de façade presque exclusivement financée par l’Europe.
Une partie de la population du Kosovo partage cette analyse et cette inquiétude, appuyées sur de longs développements de la télévision consacrés au conflit en Géorgie. Seule, peut-être pour se rassurer, l’opposition de gauche au pouvoir en place, le mouvement Vetevendosje (Autodétermination), développe une argumentation refusant de lier ce qui se passe en Géorgie à la modification des frontières entraînée par la création de l’État du Kosovo.
Au plus fort de la crise, les Serbes, de l’enclave où ils sont retranchés au-delà du pont de Mitrovica, ne cachaient pas leurs espoirs : « Les Russes vont nous aider discrètement à laisser libérer une partie du Kosovo par la Serbie, nos compatriotes chassés pourront revenir, reprendre leurs terres et leurs églises ; et l’Europe n’osera rien dire pour ne pas perdre son accès au gaz et au pétrole. Ils aideront la Serbie à organiser une véritable partition du pays, à contrecarrer l’offensive que les francs-maçons [sic] mènent contre nous depuis quinze ans au profit des musulmans. »
Dans les monastères de Pec, de Decan ou de Graçanica, près de Pristina, véritables « réserves » religieuses orthodoxes protégées par des blindés et des soldats de toutes nationalités, les moines, les popes et les Serbes en visite affichent depuis deux semaines les mêmes espoirs d’« une Russie qui retrouve sa force et son éclat, et dont nous allons profiter parce qu’elle n’a plus peur des Américains. Les Slaves sont de retour dans le jeu international et nous allons en profiter » . Dans les rues tristes de la moitié serbe de Mitrovica, de nouvelles affiches à la gloire de Poutine ont été apposées il y a quelques jours sur les murs, remplaçant les anciennes, pâlies par le soleil.
Depuis plusieurs semaines, comme ils ont été détruits par des commandos Serbes, les postes de douane installés par les Nations unies dans le nord du Kosovo ne surveillent plus les routes en provenance de la république de Serbie. Toutes les marchandises, ce qui est un moindre mal, mais aussi des armes de tous calibres, peuvent arriver librement dans la grande enclave serbe. Comme contrôle, il ne reste que deux voitures de douanes de l’administration de l’ONU, l’Unimik, postées à 60 kilomètres de la frontière, juste à l’entrée de la partie kosovare de Mitrovica. Ce qui autorise les camions à pénétrer dans la zone serbe par de nombreuses routes secondaires, où nul ne vérifie plus les chargements de camions et de voitures. Y compris les véhicules transportant les armes qui s’accumulent dans les enclaves serbes. Leur nombre augmente aussi d’ailleurs chez des groupes kosovars, mais en provenance d’Albanie.
Les Serbes veulent voir comme preuve qu’ils ont le vent en poupe et qu’ils sont du « bon côté » d’un marchandage européen dans l’annulation de la visite de Bernard Kouchner après son passage à Moscou. Un voyage éclair à Belgrade reste théoriquement programmé, pas celui de Pristina, qui donne lieu à de laborieuses négociations internationales. Même si les deux pays n’ont – en importance stratégique et géopolitique comme en superficie – aucune commune mesure, le Kosovo, dont les Russes n’ont pas reconnu l’indépendance proclamée le 17 février dernier, s’est invité de façon inattendue à la table des discussions diplomatiques sur la Géorgie ; la Russie n’accepte pas cette modification imposée des frontières des Balkans, surtout depuis que ses responsables savent que les États-Unis veulent y faire passer un oléoduc et un gazoduc qui conduiraient vers l’Europe des produits pétroliers ne transitant plus par la Russie ou l’un de ses alliés. Les Russes savent qu’à côté des drapeaux européen et kosovar qui trônent à la porte du Premier ministre et du vice-Premier ministre, ne figure que le drapeau américain…