PS : les vrais débats
dans l’hebdo N° 1015 Acheter ce numéro
À la veille du congrès socialiste, le concours de beauté organisé par la démocratie d’opinion occulte les véritables débats de fond. Ces derniers ne portent aucunement sur l’adhésion au libéralisme politique, fondateur de la social-démocratie lors du congrès de Tours de 1920. Ils n’ont pas plus pour objet l’acceptation du marché, qui n’est qu’un instrument d’allocation des ressources, au même titre que le plan, dont les pourfendeurs omettent de préciser qu’il est le moyen par lequel Vélib et Paris-Plage furent conçus en un temps record ! Loin des déclarations de principes, nos concitoyens désespèrent de voir la gauche se saisir des trois questions essentielles du moment : le protectionnisme, l’action publique, la répartition des richesses.
Le monde contemporain n’a rien à voir avec celui qui prévalait lorsque David Ricardo énonçait la théorie des avantages comparatifs. La mobilité du capital est désormais parfaite, alors que Ricardo raisonnait comme si les capitalistes ne pouvaient investir que dans leur pays. Les transferts de technologie sont en passe de s’achever, si bien que les conditions de production finiront par s’égaliser en Asie et en Europe. Sous ces deux hypothèses, les capitalistes, plus soucieux que jamais de maximiser leur rentabilité, ont naturellement intérêt à délocaliser là où les coûts salariaux sont les plus bas, sauf si le coût du transport devenait prohibitif. La mise en cause du libre-échange non régulé, portée par Barack Obama, est au cœur de la campagne présidentielle américaine. Les bienfaits du libre-échange sur le développement des pays émergents sont désormais mis en doute. Si l’Europe entend développer son industrie, ses emplois et son modèle social, elle doit activer le principe de préférence communautaire, inscrit dans le traité de Rome. Ce principe doit non seulement s’incarner par l’utilisation prévue du tarif extérieur commun, mais aussi par une révision de la politique de change. L’euro surévalué pénalise à la fois les exportations et les produits fabriqués en zone euro.
Lors de son séjour à Paris, le prix Nobel Joseph Stiglitz n’a eu de cesse de répéter que l’interventionnisme public est plus nécessaire que jamais. Contrairement à la thèse anxiogène de la dette, selon laquelle les caisses seraient vides, la France n’est nullement en faillite. Elle détient infrastructures et actifs. Elle a pu s’endetter à moindre frais pour financer le paquet fiscal, tant l’épargne, abondante dans notre pays, est gourmande d’obligations d’État. La dette ne s’est pas creusée en raison d’une inflation de dépenses publique, mais parce que les politiques néolibérales ont tué la croissance. Moins de croissance, ce sont moins de recettes fiscales, celles-ci étant de plus entamées par les baisses successives d’impôts sur les hauts revenus. Leur redéploiement vers d’autres choix (investissement, recherche, santé, éducation…) serait de nature à provoquer le fameux point de croissance manquant. Compte tenu du taux d’épargne record (15 %), il n’y aucune autre contrainte à une relance financée par l’emprunt que le pacte de stabilité. À l’heure où les États-Unis cherchent les voies d’une relance mondiale par le déficit budgétaire, la droite nous engage dans un nouveau plan de rigueur à travers la Revue générale des politiques publiques, détruisant 30 000 postes par an dans les services publics en 2008 et 2009. Pire, elle vient d’inscrire le principe d’équilibre budgétaire dans la réforme constitutionnelle, à la façon de ce que la partie III de feu le traité constitutionnel avait tenté de graver dans le marbre…
Alors que la baisse « ressentie » du pouvoir d’achat est devenue assurément réelle, la nécessité de modifier la répartition primaire des revenus et d’en corriger les inégalités par la fiscalité continue de faire débat parmi les experts et les responsables du PS. Ceux qui partagent les conclusions de la Commission Attali continuent d’affirmer que le salaire est l’ennemi de l’emploi, que la flexibilité du marché du travail est une nécessité et que la concurrence dans la grande distribution suffira à relancer le pouvoir d’achat. Ils militent parfois pour une hausse de la TVA pour financer la Sécurité sociale et n’ont « pas de tabou » pour justifier l’allongement de la durée des cotisations retraite. Au contraire, d’autres estiment qu’il est devenu impératif d’augmenter les salaires, d’entreprendre une grande réforme de l’impôt sur le revenu, de rendre progressive la fiscalité des sociétés, d’élargir l’assiette de financement de la protection sociale. Ils dressent par ailleurs un bilan plutôt positif de la réduction du temps de travail.
Pour trancher ces débats, les faits restent têtus. Les profits d’hier n’ont pas été l’investissement d’aujourd’hui et ne seront pas les emplois de demain. Dans ces conditions, protectionnisme, politique industrielle et redistribution ne sauraient rester plus longtemps les seuls « tabous » du débat politique.
- Maître de conférences à l’université Paris-I.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.