Ciné cité
Deux films de José Luis Guerin ont la ville comme personnage principal.
dans l’hebdo N° 1017 Acheter ce numéro
De José Luis Guerin, Dans la ville de Sylvia et En construcción, tourné en 2001 et jusqu’ici resté inédit, sortent simultanément sur les écrans. Le premier est une fiction, le second un documentaire, et ils ont pour thème commun l’absence et le vide à combler. Dans le premier cas, un jeune homme dessine des croquis de visages de femmes à la terrasse d’un café, quand soudain il croit reconnaître une ancienne amie. Il se met alors à suivre la jolie fille en question dans le dédale du vieux centre-ville. La ville – en l’occurrence Strasbourg – devient dès lors peuplée de signes qui tous renvoient le suiveur à son nouvel objet de fixation. Même si la jeune femme n’est pas la personne qu’il a connue – elle le lui révélera dans le tramway, ce qui devrait ramener le garçon à la réalité –, cette ville ne sera plus désormais pour lui qu’un jeu d’évocations et de reconnaissance de la belle passante. Dans la ville de Sylvia requiert un spectateur flâneur, prêt à se laisser aller au jeu des chimères en compagnie de son personnage masculin.
Dans Barcelone, on casse le quartier populaire El Chino pour le « réhabiliter » et construire en lieu et place des immeubles résidentiels à loyers beaucoup plus élevés. Autrement dit, on efface une sociabilité qui existait ici depuis un siècle. En construcción porte un titre ambivalent, puisqu’il s’agit avant tout d’une destruction. José Luis Guerin filme quelques-uns des habitants de ce quartier, qui bientôt ne sauront plus où aller, tandis que les pelleteuses et les bulldozers abattent les murs et creusent pour poser de nouvelles fondations. Le cinéaste montre le chantier sous des angles inattendus, en particulier à partir des vieux immeubles alentour, adoptant le point de vue de ceux qui assistent, impuissants, à cette rénovation largement financée par des subventions européennes. Mais il filme aussi les ouvriers, dont plusieurs sont immigrés, qui construisent des bâtiments qu’eux non plus n’habiteront jamais. La ville, dans En construcción, est une métaphore de nos sociétés, qui font tomber l’histoire des pauvres dans l’oubli pour mieux « s’embellir ».