Comment unifier les mobilisations ?
Trois représentants de la CGT, de la FSU et de l’Union syndicale Solidaires* s’interrogent ici sur la possible convergence des luttes, alors que de nouvelles règles de représentativité syndicale se mettent en place.
dans l’hebdo N° 1017 Acheter ce numéro
En cette rentrée, face à la profusion des mesures gouvernementales mettant en cause les droits des salariés, quelles sont les marges de manœuvre des syndicats ?
Pierre Khalfa : Au-delà du contenu de telle ou telle mesure gouvernementale, c’est le contexte général dans lequel celles-ci s’inscrivent qui est important. C’est-à-dire une volonté de remise en cause générale de ce qu’il reste d’égalité et de solidarité en France, avec l’objectif d’imposer un nouveau modèle social. Sommes-nous capables de construire des rapports de force à l’échelle de la société pour contrecarrer cet objectif ?
Ce débat crucial n’a pas eu lieu, et le bilan que l’on peut tirer des diverses stratégies adoptées par les syndicats depuis 2003 est extrêmement négatif. Elles ont abouti à une défaite en rase campagne sur des sujets aussi cruciaux que les 35 heures. Sur ce dernier point, c’est d’ailleurs la CGT et la CFDT qui ont entrouvert la porte en signant un accord sur la représentativité syndicale qui comporte un article visant à déroger au droit du travail en matière de 35 heures.
Michel Angot : Il ne faut pas se contenter de dire que c’est la faute des autres. Il y a quand même un point positif dans cet accord. Pour la première fois dans l’histoire, est incluse l’obligation pour les syndicats de travailler à des accords majoritaires.
De gauche à droite : Pierre Khalfa (Union syndicale Solidaires), Michel Angot (FSU) et Raymond Vacheron (CGT). T. Brun
Pierre Khalfa : Un accord majoritaire à 30 % !
Michel Angot : Il va vers les 50 %. Il y a déjà en tout cas la possibilité d’établir un front et d’obtenir des majorités de combat. On peut donc dès maintenant utiliser cet outil qui va bouleverser un paysage syndical français extrêmement éclaté, avec des syndicats qui campent sur leur pré carré. Certains vont perdre une part de leur légitimité. En ce qui concerne les marges d’action, la fin de l’année 2008 est électoralement très lourde, avec les élections prud’homales de décembre. Or, les périodes d’élections ne sont pas propices à des convergences.
Raymond Vacheron : L’attaque libérale est globale et occupe tous les terrains. La multiplication de ces offensives est telle que si l’on prépare une riposte à l’une, une autre arrive immédiatement. Cela se traduit par un recul général sur les acquis sociaux et les salaires. Cela veut dire qu’il ne peut pas y avoir de réponses simplement catégorielles. C’est pourquoi il faut se concentrer sur la question clé pour l’ensemble des salariés aujourd’hui : le pouvoir d’achat. Sur cette question, il faut absolument que les syndicats tentent d’unifier leur riposte. Il existe des possibilités pour que l’ensemble du salariat exprime son mécontentement. Il faut donc confédéraliser et unifier nos mobilisations.
L’unité du syndicalisme doit être le souci primordial, et c’est celui de la CGT. En 1945, on comptait deux organisations syndicales et 26 % de syndiqués. Aujourd’hui, on a huit organisations pour 8 % de syndiqués. Ce n’est plus possible.
Comment parvenir à des convergences et à l’unité ?
Pierre Khalfa : Le problème, c’est qu’on a jusqu’à maintenant assisté à l’inverse : refus de la convergence, et même organisation de la démobilisation par des journées d’action successives. Il faut donc avoir des discussions sur le fond. Il n’est pas possible de parler d’unité en général sans dire en vue de quelle action concrète on la fait. Quelle stratégie faut-il mettre en œuvre dans ce cadre unitaire ? Sans cela, l’unité risque d’être une unité pour la paralysie. La bataille contre la privatisation de La Poste pourrait être symbolique.
Michel Angot : La Poste est en effet une bataille centrale comme toutes celles pour les services publics. Si les usagers entrent dans le débat, nous pouvons gagner la bataille. La mobilisation doit s’appuyer sur trois piliers : les élus, les salariés et les usagers. Et puis il va falloir se poser la question taboue d’une journée de grève interprofessionnelle. Elle est dans nos tuyaux. Mais, pour le moment, même sur le pouvoir d’achat, il existe des blocages.
Pierre Khalfa : Si nous ne sommes pas capables de construire un rapport de force, nous perdrons dossier après dossier. Lors de la bataille sur les régimes spéciaux de retraite, nous avons par exemple eu une occasion de reposer la question des retraites dans son ensemble. Mais cela n’a pas été la stratégie décidée, notamment par la CGT. Du coup, quand le gouvernement a décidé de passer à 41 ans d’annuités de cotisation, la riposte n’a pu être que faible. La vérité est qu’il n’y a pas eu la volonté d’unifier l’ensemble des salariés touchés par la réforme des régimes spéciaux, et encore moins de l’étendre à l’ensemble de la société.
Raymond Vacheron : Certes, les acquis sociaux sont déterminés par le rapport de force, mais le rapport de force est déterminé par l’unité syndicale. Et il ne faut pas oublier qu’il y a tout de même 16 millions de salariés du privé dans ce pays. Comment les mobilisons-nous ? En défendant le syndicalisme confédéré, on défend l’ensemble des secteurs du salariat. C’est parce que nous avons perdu en 1993 sur les retraites du privé que nous avons perdu par la suite sur les retraites du public, et récemment sur les 41 annuités.
Pierre Khalfa : Solidaires a toujours considéré que son existence n’était pas une fin en soi. On n’est pas là pour construire notre boutique. Mais on n’aura pas en France un modèle allemand ou scandinave avec un syndicat unique. C’est une illusion. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’état du syndicalisme, mais les conditions de travail des salariés. Raisonner strictement en termes de confédéralisation dans une centrale syndicale unique, c’est passer à côté du problème. S’il y a des divergences sur les stratégies, c’est qu’en fait il y a des divergences sur les conceptions. Or il en existe deux : le syndicalisme d’accompagnement ou celui de transformation sociale.
Raymond Vacheron : Je ne suis pas d’accord. Il n’y a pas deux courants dans le syndicalisme. Il ne doit pas y avoir de préalable idéologique à l’unité.
Pierre Khalfa : Si l’unité revient à s’aligner sur la conception de la CFDT, alors il y a un problème. Si l’unité, c’est le moins-disant syndical, je ne suis pas d’accord.
Est-ce que les nouvelles règles de représentativité vont vous permettre de mieux implanter le syndicalisme dans le secteur privé ?
Raymond Vacheron : Dans une entreprise, des syndicats sans syndiqués et sans électeurs peuvent signer des accords qui s’appliquent à tous les salariés. Quand il y a des syndicats majoritaires qui représentent les salariés, l’attitude patronale générale c’est d’aider des syndicats qui ne représentent rien pour pouvoir signer des accords et les appliquer à tout le monde. Il fallait limiter cet effet-là. C’est très important, car cela va obliger l’ensemble des syndicats à faire la preuve de leur représentativité devant les salariés. Ce sont les salariés qui choisiront leurs représentants.
Michel Angot : C’est une des questions importantes de cette loi. Je rappelle cette phrase terrifiante de FO : « Ce ne sont pas les salariés qui doivent nous dicter notre ligne de conduite. » À la FSU, nous n’aurions certainement pas signé l’accord sur la représentativité. Nous avons négocié un bien meilleur accord dans le public. Parce que l’axe des forces est déjà fixé à 50 %. C’est la question clé. La CGT, la FSU, la CFDT et Solidaires font déjà 75 %. De plus, la CFDT est dans le bloc majoritaire et non dans le petit bloc d’opposition. Nous sommes aussi dans une logique d’opposition majoritaire. Un projet ne passe pas quand une majorité de délégués représentants du personnel est contre, et le projet doit être retravaillé avec les organisations syndicales avant d’être à nouveau présenté. D’ici trois ans, on va vers une validation majoritaire. C’est quelque chose qui va bouleverser les règles de représentativité syndicale.
Pierre Khalfa : Je pense qu’on est d’accord sur le constat que le système antérieur de représentativité était très mauvais. Nous en étions les premières victimes puisque nous n’avions pas une représentativité irréfragable. Cependant, pour avoir la représentativité interprofessionnelle au niveau national, il faut en plus, maintenant, répondre à sept critères cumulatifs. Ce n’est donc pas simplement l’élection qui confère la représentativité. Il y a un seul aspect positif dans cet accord, c’est le fait qu’il va permettre de désigner un représentant de la section syndicale dans le cas où une organisation ne serait pas représentative. Mais il ne faut pas se raconter d’histoires, l’objectif du gouvernement a été d’essayer de forcer une recomposition syndicale aux forceps pour avoir en face de lui la CGT et la CFDT.