Trop peu de cahiers verts dans les cartables

En dépit des ambitions affichées par l’Éducation nationale et des attentes des élèves, l’enseignement lié à l’écologie reste un vœu pieux à l’école. Et les classes de nature tendent à disparaître.

Claude-Marie Vadrot  • 11 septembre 2008 abonné·es

En cette rentrée encore, l’éducation à l’environnement ne sera certes pas la matière principale à l’école. Le problème ne date pas d’hier. L’enseignement de la protection de la nature et de l’environnement date de la circulaire 77-100 du 29 août 1977. Depuis, le ministère de l’Environnement a signé avec l’Éducation nationale plusieurs conventions et protocoles sur lesquels la poussière s’entasse lentement. Comme l’explique la fonctionnaire chargée du dossier au ministère de l’Écologie, « il n’y a pas de réalisation à la hauteur des ambitions affichées alors que les élèves sont de plus en plus demandeurs, au niveau du lycée et encore plus à celui de l’école primaire ».
En avril 2003, un (des) rapport(s) de ­l’Éducation nationale dressait un tableau pessimiste, qualifiant la situation de « très confuse pour deux raisons majeures : la notion “d’environnement” continue à susciter débats et interrogations ; confondue encore parfois (mais de moins en moins heureusement) avec ­l’écologie, l’approche environnementale garde un ancrage biologique et géologique chez nombre de professeurs de sciences de la vie et de la terre, présente une accroche prioritairement humaine chez la majorité des historiens-géographes, prend un caractère “esthétique” chez les plasticiens, ou économique et social en SES ; ce “cloisonnement disciplinaire” est rarement dépassé alors que la notion est intrinsèquement transdisciplinaire ; le concept de “développement durable” ajoute beaucoup à la confusion ».

Illustration - Trop peu de cahiers verts dans les cartables


Une animatrice de la Ligue de protection des oiseaux explique la reproduction des fous de Bassan. Mochet/AFP

Ce rapport reste d’autant plus d’actualité que, comme elle a perturbé l’opinion publique, la notion de « développement durable » dilue les vagues tentatives de réformer les programmes. Le discours prononcé sur ce thème par Xavier Darcos en juin 2007 n’est pas rassurant : après avoir reconnu que le plan d’éducation à l’environnement lancé en 2004 n’était pas vraiment satisfaisant, il en a annoncé un autre, également de trois ans, pour organiser une pluridisciplinarité entre enseignants et enseignements. Il s’ajoute au vœu pieux du 12 juillet 2006 sur le « développement durable, socle commun des connaissances et compétences ». La pluridisciplinarité rêvée n’a jamais vraiment fonctionné, sauf quand des associations comme le WWF ou la Fondation Nicolas-Hulot se sont investies sur ce thème dans quelques départements. Mais les associations peinent plus à entrer dans les écoles qu’EDF, l’ONF, le CEA ou Veolia Environnement.

Le mythe pluridisciplinaire butte sur le faible niveau de contacts entre de nombreux professeurs, sur leur surcharge de travail, et sur la crainte de certains. C’est encore la fonctionnaire du ministère de l’Écologie qui le dit : « Aborder des problèmes de société, sortir de la neutralité, ce n’est pas dans la culture de la plupart d’entre eux. » Et quand il s’agit d’aborder les questions concrètes, protection de la nature, aménagement du territoire ou pollutions industrielles, les collectivités territoriales qui financent les établissements scolaires redoutent, voire dénoncent, ce qui peut déboucher sur la mise en cause de leurs choix politiques. Sur l’environnement, plus encore qu’il y a dix ou vingt ans, le « politiquement correct » et le consensus brident les initiatives du corps enseignant. Réalité révélatrice : les stages environnement proposés aux ­enseignants ne font jamais le plein, assure le ministère de l’Écologie, au point qu’ils sont en voie de disparition.
Comme il est plus simple de réunir des commissions que de bouleverser les programmes, celles-ci continuent imperturbablement à produire des rapports, notamment pour tenir compte des lacunes signalées par le Grenelle de l’environnement. D’un côté, un groupe de travail dépendant de six ministères. De l’autre, par exemple, mais sans communication, un rapport de janvier 2008 qui explique à titre d’exemple : « Les constats faits en sixième sur le peuplement des milieux constituent une modeste contribution à l’étude des écosystèmes, que complète un peu l’approche de la relation milieu/respiration en cinquième. Il manque une étude scientifique structurée du fonctionnement des écosystèmes, avec en particulier les éléments conceptuels qui permettent de comprendre comment on qualifie ou quantifie ­l’évolution d’un écosystème (facteurs agissant sur les éléments constitutifs de l’écosystème, cycle de matière, flux d’énergie etc.). Cette connaissance serait pourtant nécessaire pour les gérer ! Comment en effet comprendre sans cette base scientifique des expressions telles que “fragilité”, “stabilité”, “résilience” d’un écosystème, qui sont pourtant au cœur de nombreux débats de société ? Il s’agit là d’un manque extrêmement important. »

L’inspecteur général Gérard Bonhoure poursuit en enfonçant le clou : « Dans le domaine des géosciences, la “géologie profonde” est incontestablement privilégiée dans les programmes actuels. Elle permet de construire correctement la notion de risques lorsqu’il s’agit de risque volcanique ou de risque sismique parce que le mécanisme repose sur la compréhension de la dynamique terrestre à cette échelle ­d’étude. En revanche, la géodynamique superficielle, du moins certains de ses aspects, est trop absente des programmes. Ceux-ci ne permettent pratiquement pas de comprendre la circulation des eaux continentales, compréhension pourtant nécessaire pour aborder les questions d’érosion, de pollution, d’approvisionnement en eau en tant que ressource. L’altération continentale, et en particulier l’évolution des sols, une question d’actualité pourtant brûlante, n’est jamais abordée sauf d’une manière très légère en seconde […]. Même si un mouvement de balancier trop radical n’est pas forcément souhaitable, un rééquilibrage vigoureux s’impose. Toutes les approches ont leur intérêt et peuvent contribuer d’ailleurs aussi à l’analyse scientifique indispensable aux approches du développement du­rable. Mais le dosage n’est plus adéquat et ne répond plus ainsi aux besoins de formation des citoyens. » Savoir que les programmes sont, sur ce point, une fois de plus, en train d’être « refondus » pour les trois prochaines années ne rassure guère car, dans les anciens, tout était déjà théoriquement prévu.

Comme il faut des années pour que de (vagues) instructions ministérielles se traduisent dans les manuels, peu de choses sont aujourd’hui offertes aux professeurs et aux ­élèves. D’autre part, si l’éducation à l’environnement reste relativement importante dans le primaire parce que les professeurs des écoles peuvent agir dans la durée auprès de leur classe sur ces questions, il faut également remarquer que les classes nature sont en forte régression. Pour plusieurs raisons. ­D’abord, l’obsession de la sécurité exprimée par les autorités scolaires et par un nombre grandissant de parents ; ensuite, les coûts de plus en plus importants de ces classes « hors sol », la disparition des centres d’hébergement collectif, les interdits alimentaires et enfin une réticence de plus en plus affirmée, dans de nombreux départements ou quartiers, envers la mixité, qu’il s’agisse du primaire ou du secondaire. Ces deux derniers points pèsent également sur des stages universitaires de terrain. L’environnement devra attendre que l’éducation nationale renonce à sa langue de bois et que la société règle ses problèmes de laïcité.

Écologie
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