Activistes en campagne
Les jeunes militants de la gauche américaine resteront vigilants quant à la défense de leurs causes si le candidat démocrate est élu Président.
dans l’hebdo N° 1022 Acheter ce numéro
En ville, personne ne pouvait les rater pendant leurs défilés bigarrés, entre révolte sourde et ambiance bon enfant. Tee-shirts roses « Stop the war » pour ces dames, tenues de prisonniers de Guantanamo pour ces messieurs, ils ont bousculé le tableau si ordonné de la Convention démocrate de Denver, organisée fin août dans le Colorado. Une bonne raison pour aller baguenauder dans la tanière de ces activistes de la « gauche de la gauche » américaine. En fait de tanière, les 24 associations du collectif Alliance for Real Democracy ont choisi un parc verdoyant, au nord-ouest de l’agglomération. Le ballet des policiers en moto y semble déplacé, tant l’ambiance est à la décontraction. Ici, entre trentenaires au look altermondialiste, on échange, on présente ses actions et ses combats, parfois assez radicaux, dans le calme et la bonne humeur. Le crépuscule des années Bush annihile sans doute les excès. Pas le besoin de lutter et de militer pour une société plus juste.
Vedette incontestée des revendications, la fin de la guerre en Irak est sur toutes les lèvres. Notamment sur celles de Ben Schrader, grand nounours blond de 28 ans, ancien soldat en Irak et membre de l’organisation Iraq Veterans Against the War (IVAW). Lunettes noires et tenue de camouflage, un drapeau américain sur l’épaule : seules des tongs et une barbe foutraque trahissent sa condition de civil. En juillet 2001, lui et deux amis décident de s’engager dans l’armée. Comme beaucoup de jeunes Américains de modeste condition, il veut avant tout « pouvoir couvrir [ses] frais scolaires et voyager partout dans le monde ».
Le gamin un peu naïf d’alors verra bien du pays. Mais pas sûr qu’il avait coché l’Irak sur son globe. Deux mois après son engagement, les tours du World Trade Center s’effondrent à New York, et l’Amérique entre en guerre. Celle de Ben durera vingt-quatre mois, entre 2004 et 2005. Il est envoyé à Bakouba, à 50 km au nord-est de Bagdad. Le choc. « Quand je suis arrivé en Irak, j’ai tout de suite compris que nous n’avions rien à faire ici. Avec mes amis, on a essayé d’influencer nos camarades. Beaucoup pensaient déjà comme nous. » Touché à la cheville, au dos, et atteint de « stress post-traumatique », l’ex-soldat compte sur Obama pour arrêter la mascarade. « Je le soutiens, mais c’est à nous, le peuple, de bien faire attention à ce qu’il tienne parole sur l’essentiel. »
L’essentiel, pour les 1 200 membres de l’IVAW, répartis dans 48 États du pays, ce sont les « trois points » défendus par l’organisation. Ils sont égrenés par George Williams, vieux sage tapi au fond du stand de l’association, casquette rouge sur bouc poivre et sel. Cet Afro-Américain de 61 ans, originaire du Bronx à New York, a connu l’enfer du Vietnam. À 19 ans, il était « chargé de sécuriser le terrain depuis l’hélicoptère pour les copains au sol. Rien n’avait de sens ». Mais revenons aux trois points : « Sortir aussi vite que possible d’Irak, garantir une couverture sociale à tous les soldats ayant servi là-bas, et enfin réparer en Irak toutes les destructions dont nous sommes responsables. »
Les jeunes civils se mobilisent aussi contre le bourbier irakien. La jolie Joy Hamilton, 20 ans et des yeux bleus qui mangent son visage poupin, short et baskets décontractés, est membre de l’association Students for Peace and Justice. Étudiante à l’université du Colorado, elle croit aux actions de terrain pour faire bouger les choses. « Mais, pour être honnête, c’est dur de sortir les étudiants de leurs études et de leur confort. Et ils sont tellement conditionnés par les médias que, pour eux, c’est comme s’il ne se passait rien. »
Heureusement, d’autres jeunes militent. Le fluet Robert McGoey, 26 ans, est volontaire pour l’organisation Jobs with Justice. Cette coalition de syndicats et de mouvements citoyens impliqués dans la défense des droits sociaux regroupe un million de membres à travers le pays. Robert s’est engagé parce que « seuls, les travailleurs n’y arriveront pas. À plusieurs, leur pouvoir est amplifié ». Estime-t-il que Barack Obama sera de leur côté ? « Il est meilleur que McCain, esquive-t-il d’abord. En fait, nous nous méfions des politiciens. Même le meilleur d’entre eux sera toujours dans le compromis avec les milieux d’affaires. Les mouvements venus du peuple sont souvent plus efficaces. Si Barack Obama est élu, nous serons toujours là pour surveiller de près ce qu’il fait. » Le voilà prévenu.