Ça va, là-haut ?

Sociologues, directeurs de recherches au CNRS, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot se sont fait une spécialité de la haute société, grands bourgeois et aristocrates. Une spécialité ponctuée de parutions (notamment Sociologie de Paris et la Chasse à courre). En 2006, ils préparaient un nouvel ouvrage : la défense des beaux espaces, à la ville comme à la campagne. Pour leur enquête, ils s’appuient alors sur le bottin mondain. Les recherches ont donné lieu, en septembre 2007, à un livre qui a connu un certain succès, les Ghettos du Gotha (au Seuil). Empruntant (presque) le même titre, le film de Jean-Christophe Rosé en serait le pendant sur pellicule, le réalisateur suivant les sociologues dans leurs différentes démarches. Des beaux quartiers parisiens aux parcs et jardins en province. De dîners en cocktails.
Déployé en longs plans séquences, le film de Rosé se veut jubilatoire, le portrait d’une société en dehors des clous, soulignant aussi le contraste entre les sociologues et leur sujet. L’insolite se pique ici d’instruction. Voilà donc un monde marbré, argenté, un univers de nœuds papillons, de costards, de robes de soirée, d’escarpins, de colliers diamantés, de frusques en léopard, de grolles en croco. Des trognes à finir sur l’échafaud. Un monde de baisemains et courbettes, de rombières et baronnes, de titres nobiliaires, de chasse à courre et de cors. Un monde de racines, d’héritages, de filiations, de propriétés et de propriétaires, où la langue chuinte à gogo, où la règle majeure est l’art de la conversation et celui de savoir se faire servir.

Ici et là, les élites fortunées se préservent à travers un réseau d’associations, de conseils, de cercles. Elles se concertent pour la qualité de leurs lieux de vie et veillent sur un entre-soi vital. Elles se protègent des autres, quitte à former des ghettos (d’où le titre). Voilà donc « les grands bourgeois dans les plus beaux espaces, qui se vivent en gardiens du patrimoine, constate Michel Pinçon. Ils défendent leur intérêt particulier et, en même temps, c’est l’intérêt général. Ça joue sur du velours. Sur le plan moral, politique. Ils ont toujours le beau rôle. » Et d’observer combien l’argent va toujours à l’argent. De châteaux en châteaux.