Cinq propositions à contre-courant
Pour sortir de la crise financière, des économistes proposent des pistes dépassant largement la seule moralisation des marchés, tenant compte des aspects écologiques et sociaux de cette situation. Un dossier à lire dans note rubrique **Eco/Social** .
dans l’hebdo N° 1020 Acheter ce numéro
Créer un « bouclier social »
Michel Husson, économiste
Les réponses à la crise ne peuvent se borner à des appels à la réglementation, mais doivent peser sur les rapports entre capital et travail, et, dans l’immédiat, protéger les salariés contre les retombées de cette crise. La première proposition serait de geler les dividendes versés à leur niveau actuel et de les transférer à un fonds de mutualisation destiné à d’autres usages, sous contrôle des salariés. Ces sommes pourraient être utilisées, dans des proportions à discuter démocratiquement, au maintien du revenu des chômeurs (l’interdiction des dividendes financerait ainsi l’interdiction des licenciements) et au financement de la Sécurité sociale, des budgets sociaux et des services publics. La seconde proposition consisterait à imposer le maintien du pouvoir d’achat des salariés en retirant à due proportion les aides publiques aux entreprises qui s’y refuseraient.
De telles mesures sont les seules susceptibles de faire payer les responsables de la crise en offrant un « bouclier social » aux salariés, et elles jetteraient les bases d’une meilleure répartition des richesses. Les sommes potentiellement concernées sont de 90 milliards d’euros : c’est 5 % du PIB, soit exactement la même proportion que les 700 milliards de dollars prévus par le plan Bush aux États-Unis.
La crise ne pourra pas être durablement surmontée par ceux qui en sont les promoteurs. Platt/AFP
Protéger les activités humaines
Jean-Marie Harribey, coprésident d’Attac
Puisque la financiarisation a surfé sur la dégradation de la condition salariale, proposons d’inscrire dans la Constitution que le supplément de richesse qui va aux travailleurs (salaires, temps de travail, protection sociale, besoins sociaux, etc.) ne soit jamais inférieur aux gains de productivité, d’instaurer un revenu maximum, au-delà duquel une fiscalité progressive drastique soit appliquée, et de faire de la souveraineté alimentaire pour tous les peuples un droit fondamental. Puisque toutes les activités humaines et la gestion de la planète étaient destinées par le néolibéralisme à être confiées au marché, instaurons un débat démocratique pour que tous les éléments essentiels à la vie (air, eau, ressources non renouvelables, climat, connaissances, etc.) soient considérés comme biens publics inaliénables, dont toute dégradation devra être prévenue ou réparée par des taxes spécifiques. Un programme d’énergies renouvelables doit enfin être immédiatement mis en chantier en Europe.
Placer la finance sous contrôle public
Jacques Sapir, économiste à l’École des hautes études en sciences sociales
L’encadrement de la finance est nécessaire. Il implique un contrôle public sur les pratiques bancaires et la limitation de certaines opérations, et l’introduction de freins à la circulation internationale des capitaux à court terme. La structure des bilans des institutions financières doit être aussi contrôlée avec un retour de quota minimum de détention de titres publics et parapublics pour stabiliser les bilans. Ces mesures sont la contrepartie du soutien public au système bancaire et aux assurances qu’il faudra mettre en place. Cela n’est pas suffisant. Il faut retrouver une marge de manœuvre monétaire, que ce soit sur les taux d’intérêts ou sur la prise en pension des titres publics et parapublics par la Banque centrale. Si ce n’est pas possible au niveau de la Banque centrale européenne, alors la question du maintien dans la zone euro sera immanquablement posée à terme. Au-delà, il faut retrouver une marge de manœuvre dans le domaine de la politique des revenus et, pour cela, introduire les protections commerciales nécessaires pour limiter les pressions déflationnistes issues du libre-échange.
Redéfinir des institutions sous l’égide de l’ONU
Geneviève Azam,
membre du conseil scientifique d’Attac
Les institutions internationales issues de la Conférence de Bretton Woods en 1944, Fonds monétaire international et Banque mondiale, ont contribué à produire et à globaliser la crise systémique actuelle : libéralisation des marchés financiers, politiques d’ajustement structurel, « consensus de Washington », liquidation des protections sociales. Elles sont aujourd’hui en crise alors que les politiques néolibérales sont en faillite. L’Organisation mondiale du commerce est également en panne, laissant derrière elle de graves déséquilibres.
La crise ne pourra pas être surmontée durablement par ceux qui en sont les promoteurs et qui ne voient dans la régulation qu’un réajustement des marchés par les puissances publiques. Elle porte avec elle des dégâts sociaux, environnementaux et politiques si considérables qu’il est urgent de convoquer, sous l’égide des Nations unies, en associant les mouvements sociaux et écologistes, une conférence internationale pour redéfinir des institutions qui permettent la stabilité financière, la mise en place de mécanismes redistributifs avec le financement des biens communs et l’annulation de la dette publique des pays du Sud.
Les négociations commerciales devraient être intégrées dans le système des Nations unies, en les soumettant au respect des droits humains et des droits sociaux et environnementaux.
Mettre en œuvre une fiscalité mondiale
Jacques Cossart,
membre du conseil scientifique d’Attac
Il est une fiscalité internationale qui ne présente aucune difficulté technique [^2], dès lors qu’une volonté politique existera. On sait que la prise en charge des biens publics mondiaux (climat, santé, paix, stabilité financière, etc.) est d’une grande urgence. Il y faudra des ressources importantes et mondiales. Elles ne devront pas peser encore davantage sur les milliards d’hommes déjà en difficulté, dans les pays du Sud comme dans ceux du Nord. À rebours d’un catalogue de taxes qui n’est destiné qu’à la propagande et qui va, davantage encore, dégrader l’image de l’impôt chez les citoyens, il faut mettre en œuvre une fiscalité coordonnée dans le cadre des Nations unies. Elle devra comporter en particulier trois types d’impôts uniformes, évitant ainsi l’évasion fiscale et les paradis fiscaux. Des taxes sur l’ensemble des opérations financières (change et bourse). Une taxe additionnelle sur les profits des transnationales, qui ne cessent d’augmenter alors que la fiscalité qui leur est appliquée diminue partout dans le monde. Enfin, une fiscalité de nature écologique, qui s’appliquera aux responsables et devra instituer une taxe sur les émissions de carbone et sur la production des déchets nucléaires.
[^2]: Voir le rapport Landau, produit il y a quatre ans déjà (.).