Courrier des lecteurs Politis 1021
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« Entre les murs » en débat
Je vous trouve bien mesurés dans votre critique du film de Laurent Cantet, parue dans le n° 1018 de Politis . Considérez que Xavier Darcos, s’étant piqué de commenter ce film, en a déduit qu’il ne fallait rien de moins qu’installer dans les collèges et les lycées le « code de la paix » (il a failli dire « permis à points »), lequel est censé unifier les sanctions destinées aux élèves pour plus d’efficacité. Ce film fait bien le jeu des plus stupides conformismes, c’était perceptible dans la salle et dans les exclamations du public sur le pauvre prof face à ces bêtes d’élèves…
À trop singer le réel, on nous a fait un film sur les limites à ne pas franchir – encore que, pourquoi ne pas brouiller les frontières entre réel et fiction ? – (jusqu’au gars qui se fait virer parce qu’il a mal pris qu’on dise qu’il était « limité » ), on finit sur une happy end où les profs et les élèves se mélangent sans âge dans une partie de foot enivrante (le sort du gars qui s’est fait virer n’intéresse plus personne). La Palme d’or étant bien plus forte encore que la communion dans un match de fin d’année, la critique n’ose écorner ce film qui a raflé tous les honneurs pour le plus grand plaisir démagogique de notre beau pays embrouillé…
Entre les murs du réel, la bêtise assurée.
Le silence est d’or, les palmes de plomb.
Natalie Barsacq
J’ai un très grand respect pour Philippe Meirieu, dont j’apprécie les prises de position sur l’école. Après avoir vu le film de Laurent Cantet Entre les murs, j’ai relu ce qu’il dit dans le n° 1018 de Politis et j’ai envie de m’exprimer sur ce sujet. Si le professeur du film se laisse parfois piéger par ses bons sentiments, M. Meirieu spectateur, en épousant l’unique posture du pédagogue, ne trahit-il pas lui aussi sa philosophie ? En effet, ses critiques sur la pédagogie peuvent paraître fondées, mais le pédagogue devenu spectateur ne pourrait-il pas nous parler aussi du regard que le cinéaste porte sur la société tout entière ? Entre les murs ne nous parle pas que de pédagogie. Laurent Cantet nous montre une école, microcosme de notre société, et il prend le risque de ne pas tomber dans le piège du créateur plein de bonnes intentions. Il prend les spectateurs pour des adultes. En cela, il est peut-être un héritier de l’école que défend Philippe Meirieu.
Claudine Vuillermet, enseignante, Paris
La fable de la crise finale
Je pense que, cette fois, l’analyse de Denis Sieffert dans son édito du n° 1019 de Politis , est un peu courte.
Il y a quelques jours, David Rosenberg, économiste en chef pour l’Amérique du Nord de la banque américaine Merrill Lynch, déclarait à propos de la crise actuelle : « Le capitalisme prend un congé sabbatique. » Vous abondez dans le sens de ceux qui arguent que, de toute façon, celui-là renaît toujours de ses cendres, toujours plus impudent, plus désespérant. Oui, mais le dernier « congé sabbatique » du capitalisme a duré une bonne quinzaine d’années, de 1929 à 1945, avec à la clé la tragédie atroce d’une guerre mondiale, mais aussi avec les plus formidables avancées sociales que notre histoire ait jamais connues : le Front populaire de 1936, les ordonnances du Conseil national de la Résistance en 1945.
Vous négligez, je pense, dans votre article, le fait que le capitalisme, qui n’est que la concrétisation économique et financière de cette sinistre course à la dominance trop caractéristique des sociétés humaines impérialistes, connaît de longues ruptures de cycles dans son développement. Et que c’est toujours durant ces longues périodes de faiblesse que les forces sociales peuvent faire valoir leurs mesures sociales. Et il a bien fallu plus de cinquante ans au capitalisme d’après-guerre pour défaire celles-ci.
Enfin, vous oubliez, je crois, que bien d’autres forteresses, bien d’autres civilisations, présentées alors comme inéluctables, ont fini par mordre la poussière du temps.
Le Yeti
Un bon roman
Il paraît tant de bons romans que tous ne peuvent trouver leur place dans les pages de Politis. Je me permets quand même d’en signaler un à tous ceux qui n’ont pas désespéré de changer le monde en découvrant son épaisseur et ses métissages à travers des destins singuliers. En l’intitulant Sorry ( Pardon dans la traduction française de Sika Fakambi, parue ce printemps au Mercure de France), Gail Jones a mis au centre de son roman le rapport des Australiens à leur propre histoire coloniale. Mais pour faire entendre ses violences et ses injustices, ses fracas et ses tragédies entre les deux guerres mondiales, elle choisit le chuchotement de Perdita, fillette anglaise amie des Aborigènes, auprès de qui elle trouve le réconfort et la vraie vie, quand la folie de sa mère et les délires anthropologiques de son père lui sont trop insupportables. La jeune Mary, métisse aborigène enlevée à sa mère (comme des milliers d’autres enfants de la « génération volée ») et mise au service de la famille, devient sa « sœur de peau ». Les murmures que s’adressent les deux fillettes s’impriment secrètement dans le bush australien. Mais le meurtre du père de Perdita la réduit soudainement au bégaiement et la sépare douloureusement de Mary. En nous racontant les chemins suivis par son héroïne pour remonter dans son passé et retrouver la parole, la romancière nous montre la dette des contemporains à l’égard des vaincus de l’histoire. En lisant les mots magnifiquement écrits par Gail Jones, ses lecteurs se sentent ainsi « imperceptiblement liés » , comme en « une sorte de famille sans limites ».
Tristan Poullaouec
Le « capitalisme moral »
Notre Sarko national trouve le capitalisme immoral. Voilà une belle découverte, qu’il faut saluer à genoux, de la part de quelqu’un qui en est l’expression la plus parfaite et le défenseur patenté. Et il va « punir » les coupables. Ah ! mais quand il les aura trouvés et se sera assuré qu’ils sont impunissables par nature. À défaut, il se rabattra sur tous ces salauds de profiteurs titulaires d’un livret d’épargne rapportant un « scandaleux 3 % » ou d’une assurance-vie de quelques dizaines de milliers d’euros (le pactole, au prix actuel du beurre !). Quel immense courage, digne des héros de l’Antiquité ! Je dis : chapeau bas ! Toujours aussi fort en gueule. Et même de plus en plus, au fil de son impuissance.
Seule nouvelle réconfortante dans cet immense merdier (qui n’était que trop prévisible) : la candidature d’Eva Joly aux européennes. J’avoue que je suis assez tenté de voter pour cette femme qui « en » a. Et qui a tenté, elle, de moraliser le capitalisme des copains-et-coquins de Sarko.
Cet hiver, pas mal de gens n’auront pas les moyens de se chauffer. Borloo-la-verdure va nous dire que c’est bon pour l’environnement. Et l’été prochain, ils ne pourront pas prendre de vacances. Ce sera sûrement bon pour quelque chose aussi. Heureusement, nous serons entrés dans l’ère du « capitalisme moral ». Il faudrait maintenant prévoir que l’être humain soit doté dès sa naissance d’un bouclier… non pas fiscal mais anticonnerie. Messieurs les chercheurs en biologie, au boulot !
Philippe Bouquet, Le Mans (Sarthe)
Écologie et luttes sociales
Après avoir spéculé et perdu, nous devons donner de l’argent aux riches. Après nous avoir volé le fruit de notre travail, ceux-ci piquent maintenant dans nos porte-monnaie. Quand ils gagnent des sous, font des profits, combien donnent-ils à l’État ? Mais quand un travailleur est à découvert, sa banque lui tombe dessus.
Le gouvernement de Sarkozy balance des postes de l’Éducation nationale et des services sociaux aux poubelles, il supprime des emplois. Les caisses sont vides, sauf pour renflouer les riches.
Aujourd’hui, il est à l’ordre du jour, encore plus qu’hier, de construire une force de gauche, une force de rupture avec les lois du marché.
Mais j’ai peur que le fait que Bové parte avec Cohn-Bendit ne fasse croire qu’une liste de tous les écologistes est l’avenir.
Pour moi, l’écologie ne peut être dissociée des luttes sociales, comme les luttes sociales ne peuvent être dissociées de l’écologie.
Souvenons-nous de la réaction des syndicalistes lorsque des Ekolos distribuaient des tracts devant l’usine Eternit. Pourtant, ils informaient que l’amiante était dangereux. […]
Les partis traditionnels se partagent la bipolarisation politique. En 1981, Huguette Bourchardeau, candidate à la présidentielle, expliquait que l’alternance prônée par Mitterrand était juste un coup à droite, un coup pour le PS et ses satellites. L’alternance est la rupture.
Alors, cette fédération, sommes-nous en train de la construire ? Autour de l’Appel de Politis ?
Jean-Pierre Meyer, Saint-Martin-la-Plaine (Loire)
Sans tabous
Dans une gauche qui se cherche, le débat des idées et des programmes semble l’une des solutions, afin d’établir les contours de ce que pourrait être le parti anticapitaliste dont nous avons besoin. Paradoxalement, aujourd’hui, sous couvert d’une multiplicité de débats sur l’avenir et la reconstruction de la gauche, les lignes de partage semblent plus prégnantes que les convergences. Le débat programmatique et théorique est noyé dans les stratégies électorales, dans l’urgence des luttes et la recherche d’une union à la gauche de la gauche. Pour s’en sortir, il ne faut pas seulement débattre sur ce qui nous divise ou nous rapproche. Il faut débattre des idées, des thèmes qui nous traversent ou que nous méconnaissons, et ne pas laisser cette réflexion à quelques chercheurs ou militants isolés, à qui nous donnons un blanc-seing. Sans quoi, nous prendrons un retard considérable sur nos adversaires libéraux de droite comme de gauche. Non seulement sur un plan électoral, mais surtout dans la vie quotidienne de nos concitoyens, auxquels les partis comme l’UMP et le PS apportent, ou plutôt semblent apporter des réponses sur tous les sujets pour mieux contrôler l’information et le ressenti de l’opinion publique.
Donc, débattons ! Et débattons de tout, y compris des sujets tabous. Car, l’une des faiblesses de la gauche de la gauche, de la gauche anticapitaliste, est de s’être cantonnée jusqu’à maintenant aux sujets qu’elle maîtrise, aux sujets qui lui tiennent à cœur, et notamment liés à l’analyse marxiste. Cela explique notamment que tous les partis marxistes ont éprouvé pendant longtemps une vraie carence sur le débat écologique. Il faut discuter aussi de ce que la gauche déteste, de ce que la gauche condamne sans réellement approfondir le débat, afin de donner des réponses cohérentes aux citoyens. C’est une condition essentielle à la réussite d’un projet alternatif au capitalisme.
Parmi ces sujets tabous, certains sont peu ou pas traités, comme la place de la police, de la justice et de l’armée dans un projet anticapitaliste, et le rôle de la diplomatie dans ce même projet. Quelles relations commerciales avec des pays totalitaires comme la Chine ? Quelle place accorder au patronat ? Comment gérer la surpopulation des prisons sans avoir une politique de sécurité laxiste ?
Il y a également des sujets tabous non par le sujet lui-même, mais parce que toute divergence d’opinion renvoie à un procès en sorcellerie, en vindicte militante. Comment serait traité un militant anticapitaliste s’opposant, pour quelque raison que ce soit, à la régularisation de tous les sans-papiers ? Ne serait-il plus anticapitaliste ?
Pareillement pour le nucléaire, dans certains milieux.
Bien entendu, mon propos n’est pas la recherche d’un consensus mou. Au contraire, ce sont des positions déterminées qui doivent être recherchées, mais après un débat transparent, ouvert, tolérant, fait de raison et non d’affect, recherchant la meilleure voie entre ce qui peut être fait dans l’immédiat et le but recherché. Car arrêter le débat, comme trop souvent, à ce que devrait être une société parfaite et en faire un programme peut se révéler dangereux et contre-productif. […]
Gaétan Alibert