Extension de peine

Dans « À côté », en mélangeant photos et vidéo, Stéphane Mercurio montre les dysfonctionnements du système pénitentiaire et l’impact de la détention sur les familles de détenus.

Ingrid Merckx  • 30 octobre 2008 abonné·es

On ne voit que les mains, qui dépiautent en vitesse des langoustines qu’elles entassent, luisantes, dans des sachets transparents. Comme les chocolats, nus aussi. Et la poudre de noix de coco, versée en vrac. « Cette année, ils font une fixation sur l’aluminium. » Alors, tous ceux qui sont là s’y mettent. Épluchent, dépapillotent. Ces proches de détenus, aidés de bénévoles, attendent leur tour de parloir dans une pension proche de la prison. C’est Noël, chacun a préparé un colis. Mais les directives sont strictes. Chantal pousse la porte : « Ils refusent les fromages cette année. À cause de la chaîne du froid… En 40 ans de parloir, c’est bien la première fois. Pour le saumon… il fallait que je lui donne en tranches. Mais non ! Mon mari, c’est pas un chien… » Le poids des règles, les dysfonctionnements de l’administration pénitentiaire, voilà qui surcharge le quotidien des familles de détenus. Elles qui vivent « à côté » de la prison, presque un peu criminelles aussi, comme « punies d’aimer quelqu’un qui a fait une bêtise ».
La machine à imprimer les permis de visite cassée, les parloirs annulés au dernier moment, les séjours à l’hôpital dont on ne sait rien, les transferts dans une autre prison à des centaines de kilo­mètres… La cinéaste Stéphane Mercurio s’est installée plus de dix mois à Ti-tomm, « petite maison conviviale à côté de la maison d’arrêt des hommes de Rennes » , pour recueillir les témoignages de ces proches : un ou deux pères, un ou deux fils, mais surtout des ­femmes, très jeunes et moins jeunes, compagnes, épouses ou mères. Elles lui ont confié leurs angoisses, leur terreur face aux bagarres et au suicide, le manque d’informations, la complexité des procédures, l’incohérence des règles, les incompréhensions avec le détenu, la peur de la sortie, l’organisation pour venir, parce qu’il y a le travail, les enfants, le trajet à payer, la nuit sur place quand on habite loin, et les fins de mois à boucler, seule…

« Jamais ou presque, elles ne remettent en cause l’emprisonnement de l’être aimé, explique Stéphane Mercurio. Mais pourquoi la peine s’étend-elle à celles qui représentent, bien souvent, l’unique chance de retour du détenu à une vie normale ? » , interroge la cinéaste. À côté frappe par ce qu’il montre : le courage de celles (et ceux) qui s’accrochent pour préserver un semblant de relation, un semblant de vie familiale malgré les hauts murs. Et ce qu’il suggère : eux, maris, fils et pères enfermés, qu’on ne verra pas. Tout au plus entendra-t-on quelques sons venus de la cour. Cette absence de contrechamp dessine comme un angle mort, une zone d’ombre vers laquelle tout converge inexorablement.
La vie de ces femmes hors champ, à l’extérieur de cette pension où elles se soutiennent mutuellement, transparaît dans les photos prises par Grégoire Korganow. « Claire qui se pelotonne dans un T-shirt porté par son homme ; Chantal seule, tendue, dans la salle rouge de la cour d’assises de Nantes ; ou encore Christine sur le trottoir hurlant des mots d’amour à son mari derrière les barreaux »… En alternant vidéos et images fixes, À côté tisse deux parallèles : celle du témoignage direct, avant ou après le parloir, et celle, plus diffuse, de ce que vivent les femmes quand elles se retrouvent seules. Deux temporalités différentes en somme, qui font saisir un certain rapport au temps. À l’attente. Et à l’absence.

Culture
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