« Faire ressurgir le politique »

Le deuxième Forum social des quartiers populaires s’est tenu à Nanterre. Trois jours de débats et de rencontres qui ont attiré autant de militants confirmés que de visiteurs sensibles aux questions soulevées par ce rendez-vous.

Samuel Lehoux  • 9 octobre 2008 abonné·es
« Faire ressurgir le politique »

« Cette année, le Forum a vraiment de la gueule ! » Une fois franchies les portes du stade Jean-Guimier, prêté pour l’occasion par la mairie de Nanterre, nombreuses sont les personnes qui lâchent cette expression en découvrant le site aménagé par les organisateurs du deuxième Forum social des quartiers populaires (FSQP). Au pied des tours du quartier Pablo-Picasso de Nanterre, le lieu du Forum s’accorde parfaitement avec son contenu. Quel meilleur symbole, en effet, pour signifier les problématiques actuelles et revaloriser les luttes des anciennes générations ?

Illustration - « Faire ressurgir le politique »


Au pied des tours du quartier Pablo-Picasso de Nanterre, où s’est tenu le Forum du 3 au 5 octobre.
Samuel Lehoux

Contrairement au premier FSQP ([^2], ­toutes les activités sont concentrées sur le même site, ce qui, comme le soulignent les organisateurs, favorise les échanges et ­concentre l’énergie militante. Au milieu du stade, un grand chapiteau fait face au village associatif et aux barnums qui accueillent les débats thématiques, les expositions et le cinéma de quartier. Aussi bien lors des longs débats sur l’éducation, les médias, l’apartheid urbain, les violences policières ou les mouvements de solidarité en Palestine, avec une cinquantaine de personnes présentes constamment, que devant les stands des associations, ou encore sur des coins de pelouse, les discussions politiques foisonnent.
La ferveur militante et populaire est particulièrement palpable au plus fort de la ­fréquentation du Forum, soit un millier de personnes fourmillant sur le site.
Rencontré devant le stand de l’association Bienvenue la Palestine, Aghiles, la trentaine, éducateur en Seine-Saint-Denis, se réjouit de voir « des populations de différents milieux et de plusieurs générations ». Tous n’ont pas forcément la même trempe militante, mais le dénominateur commun est sûrement la sensibilité aux thèmes énoncés par le Forum. Les tee-shirts floqués « Pas de justice, pas de paix », ou encore « Résistance des banlieues », remportent un franc succès.

Outre cette sensibilité, le FSQP est marqué par une volonté d’agir. « Agir de façon urgente en nous organisant, en montrant qu’on existe » , espère Elsa, une lycéenne de la banlieue de Toulouse, habituée des luttes, proche des Motivés. Autour d’un thé à la menthe distribué en continu au restaurant Chez Kader, la jeune fille se montre sans concessions : « Il faut arrêter de déformer la réalité, poser les vraies questions, et surtout ne pas s’intéresser aux quartiers uniquement pendant les élections, comme le font les partis politiques. »
Beaucoup viennent aussi au Forum pour tenter de résoudre leurs incertitudes quant à la manière d’agir pour lutter, contrairement aux organisateurs et « anciens » des luttes issues de l’immigration et des quartiers populaires, plus affirmés sur le sujet.
Ainsi, Stéphane, de Rosny-sous-Bois, venu seul, se balade de débat en association « pour voir comment s’investir dans le militantisme ». Ce jeune travailleur de 27 ans, exerçant dans le bâtiment, apprécie cette ambiance militante, lui qui se dit dégoûté par « la course à l’argent qui gangrène les quartiers, et convaincu de l’importance de la solidarité pour avancer ». Au gré de ses rencontres, Hicham, jeune homme au style décontracté, casquette ornée d’une étoile rouge, se promène sur le site. Ce lycéen de terminale du Val-d’Oise est venu ­ « s’imprégner des ­expériences militantes de chacun pour avoir des éléments de réflexion, une meilleure vision des choses, et savoir avec quelles armes on peut lutter, sans se faire manipuler ». Tout le monde ici a en tête les récupérations des mouvements des années 1980.

Pour les militants venus de tout l’Hexagone, et même d’Europe, le Forum semble aussi répondre aux incertitudes propres à ce domaine militant, particulièrement délaissé et fragile. Au coin d’un barnum, Mustapha et Marc, deux membres des Motivés de Toulouse, la quarantaine un peu passée, sont persuadés de la capacité de ce moment politique à faire émerger des outils de lutte collectifs. « Politiquement, le décor n’a pas changé depuis plus de quinze ans, selon Mustapha. Alors, se voir, savoir qu’on n’est pas seul, cela fait respirer. » « Ça permet, ajoute Marc, de sortir du syndicalisme de quartier, des luttes successives, mais aussi de rompre avec l’isolement des combats menés. On a la possibilité de faire ressurgir collectivement cette force politique des quartiers rendue invisible ou déformée par un système écrasant. » Le FSQP a en tout cas le mérite de tenter de « construire ce qu’il n’y a nulle part dans le champ politique » , estime Fatima, du collectif DiverCité de Lyon, lors d’un débat.
Á l’image des errances et des ­doutes des visiteurs, les questions restent néanmoins nombreuses à l’issue du Forum. Lors du débat sur le rapprochement entre les mobilisations des quartiers et la gauche sociale, certains souhaitent voir les militants actifs se rapprocher de partis ou de personnalités de gauche, d’autres veulent mener un combat plus autonome, d’autres encore estiment qu’il faut résister en lien avec une analyse du contexte politique et social ­d’écrasement du capitalisme…
Finalement, tous sont d’accord, organisateurs, militants, visiteurs, pour affirmer la nécessité de faire émerger une expression politique des quartiers populaires. Les perspectives et les contours restant à définir, le plus dur reste à faire ; même si, après tout, il ne s’agit que du deuxième FSQP [[
N’hésitez pas à vous rendre sur le site <www.fsqp.free.fr> pour voir plus de détails sur le programme et les comptes rendus de cette deuxième édition.]]. Et, comme l’affirme justement Mustapha des Motivés, « ce travail, il ne se décrète pas, il se construit ! ».

[^2]: Celui-ci avait eu lieu en juin 2007 à Saint-Denis.

Société
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