« Le gouvernement se désengage du monde rural »
L’hommage appuyé de Nicolas Sarkozy aux acteurs de l’éducation populaire cache une autre réalité, lourde de menaces, explique Jean-Marie Beurton, président de la Confédération nationale des foyers ruraux*.
dans l’hebdo N° 1020 Acheter ce numéro
Dans une lettre ouverte adressée au président de la République, vous lancez un appel au soutien des associations d’éducation populaire et d’animation en milieu rural. Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à écrire cette lettre ?
Jean-Marie Beurton : Cette lettre ouverte est motivée par la déclaration de Nicolas Sarkozy à Batz-sur-Mer (Loire-Atlantique), le 24 juillet, qui met un grand coup d’encensoir au monde associatif et à l’éducation populaire. Nous y avons rappelé quelques-unes des déclarations du Président, notamment celle-ci : « L’éducation populaire permet aux jeunes de se découvrir eux-mêmes, de découvrir et de comprendre les autres, d’aller vers l’autonomie, de comprendre que l’autre n’est pas un adversaire. » C’est la première fois que l’on entend de tels propos de la part d’un président de la République. Or, deux mois plus tard, nous apprenons la suppression en 2009 de la ligne budgétaire dite « animation rurale » du ministère de l’Agriculture, notre principal partenaire financier. Pour nous, cela représente environ 340 000 euros, auxquels il faut ajouter la révision à la baisse du soutien du ministère de la Culture et de la Communication et du ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative. Nous estimons à près de 500 000 euros la baisse du soutien de la puissance publique en faveur de l’animation du réseau des foyers ruraux, soit l’essentiel de notre budget action. Et cette situation concerne aussi nombre de nos partenaires associatifs ruraux. C’est à un désengagement financier massif que se livre aujourd’hui le gouvernement vis-à-vis du monde rural.
Pour nous, c’est évidemment difficile à avaler. En quelques années, nous avons profondément fait évoluer notre projet associatif pour l’adapter aux demandes de nos adhérents et aux besoins des populations rurales. Nous avons même joué la transparence la plus totale vis-à-vis de nos partenaires financiers en demandant un audit ministériel il y a deux ans. Il semble que cela n’ait servi à rien.
Nicolas Sarkozy, le 24 juillet 2008 à Batz-sur-Mer.
Feferberg/AFP
Que signifierait la disparition de la Fédération nationale des foyers ruraux ?
Fédérer des associations, c’est donner un sens politique et une visibilité à des initiatives qui sans cela seraient dispersées. C’est aussi faire le choix de l’échange, de la réflexion commune, refuser le vase clos. C’est se donner le moyen de former les responsables associatifs. Aujourd’hui, une tête de réseau n’est plus là pour imposer un système centralisé et hiérarchique, mais pour catalyser des énergies. Nous sommes une des seules organisations d’animation socioculturelles et sportives s’adressant spécifiquement aux acteurs du monde rural. Parce que nous existons depuis plus de soixante ans, on nous attribue parfois une image un peu vieillotte. Mais nos bénévoles ne sont plus ceux d’il y a soixante ans. Les foyers et les associations rurales ont changé avec le monde rural. Aujourd’hui, ils font vivre les pratiques artistiques amateurs, ils sont les artisans du renouveau du conte en France, ils organisent des « rallyes mob », des cafés débats ou des brocantes de village, font de la prévention ou s’investissent dans les comités de développement mis en place dans le cadre des pays… Et tout ça est important. Il s’agit là de se prendre en charge soi-même et d’oser être acteur de son développement.
Votre démarche dérange-t-elle ?
Une chose est sûre, c’est qu’on est de plus en plus confrontés à une marchandisation des relations sociales, culturelles, éducatives. Aujourd’hui, l’État demande aux associations d’être performantes économiquement, de répondre aux mêmes appels d’offres que des entreprises privées. C’est un non-sens. Il faut y résister. Une association d’éducation populaire ne peut que se placer dans le champ de la solidarité, de la coopération. Nous ne sommes pas taillés pour la compétition, nous sommes avant tout un réseau de bénévoles. Notre travail est peu visible. Il ne se situe pas dans la sphère du monétaire, même si nous avons besoin d’argent, de professionnalisme et donc de salariés pour mener à bien nos actions. Les acteurs de l’éducation populaire tentent, tant bien que mal, de donner du sens, d’ouvrir des espaces de parole, d’introduire l’esprit de résistance.
Le gouvernement est donc en train d’abandonner une forme d’éducation populaire ?
Il défend le bénévolat, mais pas l’éducation populaire… Pour les politiques, le bénévole est celui qui a du temps libre à prêter à des organisations caritatives. On invente des bourses du bénévolat pour que des personnes, retraitées ou ne travaillant pas, viennent offrir leurs compétences et leur temps pour des activités caritatives. Nous sommes radicalement opposés à cette conception. Pour nous, être bénévoles, c’est être militant, citoyen, acteur de son devenir, de la vie de son territoire. La conception de la vie de la société civile organisée est battue en brèche depuis plusieurs années. L’État fait de la politique marketing. Aider des associations qui visent à construire des acteurs debout, ça n’entre visiblement pas dans ses préoccupations.