Le sursaut citoyen

Face aux politiques européennes d’immigration, plus de deux cent cinquante organisations se réunissent à Paris pour proposer des alternatives à l’Europe forteresse, et s’imposer dans un débat dont elles ont été exclues.

Ingrid Merckx  • 9 octobre 2008 abonné·es

Qu’est-ce qui fait qu’un homme, une femme, une famille, quitte son pays ? « C’est la question que chacun doit se poser. Si cela nous arrivait… » , a interpellé Grégoire Simon, saxophoniste et seconde voix du groupe de rock français les Têtes raides, le 30 septembre à Paris, lors de la conférence de presse de présentation du Sommet citoyen sur les migrations. Laurent Giovannoni, de la Cimade ; Nathalie Péré-Marzano, du Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid) ; Chadia Arab, d’Immigration développement démocratie (IDD) ; Jean-Louis Malys, pour cinq syndicats (CFDT, CGT, FSU, Solidaires, Syndicat de la magistrature et Unsa) ; et Grégoire Simon, en tant que porte-parole d’un ensemble d’artistes et de personnalités : cette tribune constituée exclusivement de représentants de la société civile apparaissait comme la première réponse d’ampleur, solide et concertée de citoyens français aux politiques d’immigration actuelles. « C’est aussi une affaire de mémoire : les pays du Nord ont pillé les pays du Sud. Aujourd’hui, on les prive de leur développement, a enchaîné Grégoire Simon. Vient un moment où l’on doit sortir de sa réserve. Il y a des combats dont il faut être » , a-t-il expliqué simplement.

Intitulé Des ponts pas des murs, ce sommet, qui se tiendra les 17 et 18 octobre à Paris, s’inscrit dans le prolongement d’un premier sommet qui a eu lieu en 2006 au Maroc, en marge de la conférence euro-africaine sur les migrations et le développement. Déjà, la société civile s’était vue exclure de l’événement. Cette première mobilisation, qui avait rassemblé près de 180 per­sonnes venues de 20 pays d’Afrique noire, d’Europe et du ­Maghreb, avait débouché sur la signature d’un Manifeste euro-africain, texte fondateur du Réseau euro-africain. « Nous, acteurs des sociétés civiles d’Afrique sub-saharienne, ­d’Afrique du Nord et d’Europe, réunis en Conférence non gouvernementale euro-­africaine les 30 juin et 1er juillet 2006 à Rabat, indignés par la guerre qui s’amplifie d’année en année le long des côtes méditerranéennes et atlantiques, refusons la division de l’humanité entre ceux qui peuvent circuler librement sur la planète et ceux à qui cela est interdit, refusons également de vivre dans un monde aux frontières de plus en plus militarisées qui segmentent nos continents et veulent transformer chaque groupe de pays en forteresse … »
Un an plus tard, l’Europe, qui a adopté le 18 juin la « directive retour » institutionnalisant l’enfermement des clandestins, s’apprête à signer, les 15 et 16 octobre, un « Pacte européen sur les migrations ». Mise en place d’une carte bleue européenne, renforcement de la police des frontières et des instruments de contrôle avec recours à la biométrie, signatures d’accords forçant les pays d’origine à ­réadmettre leurs ressortissants moyennant des échanges économiques… « Ce “Pacte” marque un retour à une politique d’internement comme on en a connu dans les années 1930, a commenté Laurent Giovannoni. Une politique plus sécuritaire mais surtout inefficace : les mouvements migratoires continuant de toute façon, elle ne sert qu’à créer des sans-papiers. »

Face à cela, quelles solutions ? C’est l’enjeu du Sommet citoyen sur les migrations que de proposer des alternatives à l’Europe forteresse autour de « six grands axes pour une autre politique migratoire » (relations Nord-Sud, impact de la politique d’immigration, liberté de circulation, droit d’asile, femmes et mineurs migrants). D’où le titre : « Des ponts pas des murs ». « La Méditerranée n’est plus une mer mais une ligne de fracture entre le Nord et le Sud, a précisé Chadia Arab, d’IDD. Du fait de la mondialisation des flux, c’est aussi une porte. À 14 km de l’Espagne, le Maroc est devenu une zone tampon où se croisent toutes ­sortes de candidats à la traversée. Depuis 2003, ce pays a considérablement durci ses lois. Il est en train de devenir le gendarme de l’Europe ! » , a alerté la jeune femme. L’un des objectifs du sommet est de sensibiliser les populations du Sud aux conséquences de la politique d’immigration choisie européenne, et de contrer les pressions exercées par l’Union. Après une introduction pilotée, entre ­autres, par Aminata Traoré, coordinatrice du forum pour un autre Mali et ex-ministre de la Culture de ce pays, la parole sera majoritairement donnée aux représentants d’Afrique et d’Amérique latine. Un millier de participants sont attendus. « La société civile dans les pays du Sud témoigne d’une vraie vitalité, a témoigné Laurent Giovannoni. Même s’il est difficile de se mobiliser quand la démocratie est fragile. » « Cela dit, la situation se désagrège en France, a rebondi Nathalie Péré-­Marzano, à en croire l’appel d’offres qui frappe les centres de rétention et porte une atteinte inédite à la liberté d’expression. »

Le 17 octobre, également Journée mondiale contre la misère, une « caravane d’événements » doit faire écho au Sommet depuis, notamment, la République démocratique du Congo, le Mali, la Mauritanie, le Cameroun, le Bénin et le Maroc. En France, la campagne « Des ponts pas des murs » ­s’achèvera par une marche festive et un concert organisé par les Têtes raides avec plusieurs artistes, « parce qu’il faut continuer à se marrer et aussi désamorcer la violence que déclenche la politique d’immigration » , a justifié Grégoire Simon. Les organisateurs espèrent 50 000 personnes dans la rue pour appuyer la prochaine « déclaration de Montreuil » sur la base de laquelle les organisations participantes exigeront d’être reçues par les autorités. Elles sont déjà soutenues par des élus qui organisent, de leur côté, un « Forum des collectivités locales ». Enfin, un Petit Guide pour lutter contre les préjugés sur les migrants est en préparation. ­ « L’adoption du Pacte ne termine pas la question, a indiqué un responsable du Secours catholique. Le texte doit ensuite passer au Parlement européen, puis devant chaque parlement national… » Sous-entendu : il est encore temps.

Société
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