Les agrocarburants bientôt plombés ?
Le vent a tourné pour les carburants d’origine végétale. Alors qu’il
est admis que leur bilan énergétique, climatique, écologique et social
est médiocre, voire catastrophique, ils perdent peu à peu leurs soutiens.
dans l’hebdo N° 1021 Acheter ce numéro
rès remontée, la filière éthanol française : Bercy veut retirer le providentiel marchepied fiscal glissé sous ses pieds il y a quatre ans. Le projet de budget 2009, dévoilé fin septembre, réduit la remise de taxe intérieure sur les produits pétroliers (Tipp) dont elle bénéficie depuis 2005 [^2].), jusqu’à son annulation totale en 2012. « Grande incohérence, dénonce la Confédération générale des planteurs de betteraves (CNB). Le bioéthanol serait ainsi taxé 50 % de plus que l’essence. » Le Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA) redoute la faillite rapide de la filière et « la destruction de milliers d’emplois ».
Les usines d’huile de palme, en Indonésie, sont les principaux facteurs de pollution et de déforestation. Zamroni/AFP
Le gouvernement aligne ses arguments : l’envolée du pétrole favorise durablement les agrocarburants ; les investisseurs ont largement profité de la manne fiscale (800 millions d’euros en 2008), alors que la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) « constitue à elle seule une incitation efficace ». Enfin, la hausse des prix des denrées « ne justifie plus le soutien au débouché des productions agricoles » : bel aveu, quand l’État avait légitimé la défiscalisation par la lutte contre le dérèglement climatique, dont on ne pipe plus mot : la crise est là, Bercy se félicite surtout de récupérer 401 millions d’euros dès 2009.
« Le gouvernement se replie opportunément… Qui soutient encore ces carburants, qu’on disait “écologiques” ? », souligne l’eurodéputé Vert Alain Lipietz. Son groupe tente actuellement de démanteler un projet de directive qui porterait la part de marché des agrocarburants à 10 % d’ici à 2020
[[La France veut même y parvenir en 2010.
Taux actuel : environ 3 % dans l’Union.]] – objectif obligatoire, dans une Union qui s’est engagée à consommer 20 % d’énergies renouvelables à cet horizon. Une bataille à fronts renversés : il y a cinq ans à peine, les écologistes avaient sué pour imposer une première directive avec pour objectif, simplement volontariste, d’incorporer au moins 5,75 % d’agrocarburants dans les réservoirs en 2010.
Cette semaine, le Parlement européen a entamé l’examen du texte, déjà sérieusement plombé par une série d’amendements adoptés (par la gauche comme la droite) au sein de la commission ad hoc pilotée par le Vert luxembourgeois Claude Turmes : pour près de la moitié, ces agrocarburants ne pourront provenir de plantes alimentaires (céréales, huiles, etc.), alors que les autres filières de carburants « verts » sont encore balbutiantes ; cette substitution aux combustibles pétroliers devra apporter une réduction d’au moins 60 % d’émissions de gaz à effet de serre (on en est loin, en moyenne) ; et l’objectif « 10 % en 2020 » serait soumis à une évaluation couperet, que les eurodéputés veulent avant 2014. But affiché : corriger les dérives, devenues très voyantes, de l’explosion de la demande d’agrocarburants.
« Car même si les filières alternatives décollent, on n’évitera pas d’importer du Sud au moins une moitié d’agrocarburants “alimentaires” en 2020 – 10 milliards de litres ! » , calcule Jean-Denis Crola, de l’association Oxfam France-Agir ici.
Pour en tirer profit, l’Indonésie, premier producteur mondial d’huile de palme, a ainsi réservé 20 millions d’hectares de terres, rappelle Ginting Longgena, des Amis de la terre-Pays-Bas. Conséquences de cette monoculture intensive : déforestation, espèces menacées, déplacement de populations, épuisement des sols, pollutions chimiques, etc. [^3]. L’explosion de la demande en céréales et en huiles végétales destinées aux agrocarburants serait responsable de près de 70 % de la hausse des cours mondiaux, déclenchant une crise alimentaire que la FAO vient de chiffrer : le nombre de personnes souffrant de la faim est passé cette année de 850 à 925 millions ! Il y a un mois, le rapporteur de l’ONU sur l’alimentation plaidait même pour un moratoire sur leur développement, dans l’attente de la définition de critères « rigoureux » favorisant les agrocarburants qui « n’ont pas d’impact négatif sur les aliments de première nécessité et ne violent pas le droit à l’alimentation ».
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Les associations CCFD, Oxfam France-Agir ici et les Amis de la terre ont lancé la semaine dernière une campagne [^4] pour réclamer l’abandon des objectifs européens pour 2020 (et français pour 2015), alors que les ministres européens de l’Énergie se réunissent le 10 octobre à Bruxelles, sous pression d’un Nicolas Sarkozy qui s’échine à obtenir un accord avant la fin 2008, échéance de la présidence française de l’Union. *« Mais tant que l’on n’adoptera pas une politique des transports ambitieuse, on restera à côté de la plaque » , juge Sébastien Godinot, coordinateur des campagnes aux Amis de la terre. En effet, « la croissance annuelle de la consommation de carburants annihile à elle seule tous les gains en gaz à effet de serre apportés par les agrocarburants… » , relève Ambroise Mazal, du CCFD.
[^2]: De 0,22 euro par litre (éthanol) à 0,27 euro/l (diester
[^3]: Voir Politis nos 954, 970, 992 et 1004.
[^4]: « Les agrocarburants, ça nourrit pas son monde ». Voir le site .