« Nos dirigeants sont riches et corrompus »
Albin Kurti est le responsable du principal parti d’opposition.
Il dénonce l’occupation du Kosovo par des forces étrangères
et l’incurie des gouvernants de son pays.
dans l’hebdo N° 1020 Acheter ce numéro
Albin Kurti a 33 ans. De 1993 à 1997, il a suivi des études de communication et d’informatique dans les centres universitaires clandestins des Albanais du Kosovo. Sa participation à la résistance armée lui a valu la prison en Serbie et une inculpation par la justice de son pays, toujours valable, pour son opposition au pouvoir kosovar. Il a également été condamné à une peine de prison pour « appel à la résistance » et soutient les luttes écologiques. Il nous a reçu au siège de son mouvement, Vetevendosje ! (autodétermination !), et a expliqué le sens de cette résistance avec passion.
Que reprochez-vous aux dirigeants élus du Kosovo ?
Albin Kurtis : Qu’ils acceptent une occupation provisoire du pays par des forces étrangères sans que soit fixée la moindre limite dans le temps. Comme en Bosnie, où les responsables étrangers exercent la réalité du pouvoir depuis treize ans. Lors de notre indépendance, les Européens, qui prennent en ce moment le relais des Nations unies, ont expliqué que leurs forces et leur administration étaient encore là pour « au moins deux ans », mais ils n’ont même pas évoqué de limite à leur présence.
Mais si la vingtaine de milliers de militaires et de policiers étrangers s’en vont, des conflits internes entre Serbes et Kosovars ne risquent-ils pas d’éclater ?
Il n’existe aucune certitude dans un sens ou dans l’autre. Rien n’existait avant, nous n’avons pas d’histoire, il nous faut expérimenter dans tous les domaines. Mais il faut être clair, nous ne sommes pas contre une présence internationale, mais ces forces et cette administration ne doivent pas gouverner le pays, elles doivent simplement nous aider, assurer la stabilité entre les uns et les autres. En Macédoine, l’Otan est présente, mais elle ne se mêle pas de la politique intérieure ou extérieure.
Quels sont les domaines qui vous échappent ?
La défense, la police, la politique étrangère, le contrôle de nos frontières. Nous ne pouvons pas continuer à vivre en appliquant les accords de Kumanovo signés en juin 1999 avec une armée et un régime de criminels dirigés par Milosevic. Nous avons 10 000 policiers, mais ils sont sous contrôle international, pas sous celui de notre ministère de l’Intérieur. Pareil pour la justice.
Mais ces fonctionnaires internationaux aident votre pays, ils ont rétabli une administration…
Beaucoup trop de ces fonctionnaires n’étaient rien ou pas grand-chose dans leurs pays. Ils viennent chez nous pour les salaires et pour ajouter quelques lignes à leur profil de carrière. Beaucoup sont des médiocres, et la plupart ne sortent pratiquement jamais de leurs bureaux. De plus, ils ont organisé une privatisation qui a permis la constitution de grosses fortunes kosovares et le maintien au pouvoir de gens qui le déshonorent.
Vous les accusez de corruption ?
Oui, pour nous, c’est un point essentiel. Nos dirigeants, notre personnel politique sont riches et corrompus. Ce qui permet aux milieux économiques de maintenir la pression sur eux, par le chantage.
Pourtant, la situation économique du pays s’est améliorée depuis neuf ans…
Pour une minorité seulement. Le salaire moyen est de 200 euros, et le chômage dépasse 60 %. Ce que nous consommons vient à 95 % des importations. Nous consommons, mais le pays n’investit pas, nous n’avons pas de plan de développement, pas de budget prévisionnel, pas de comptabilité publique, pas de politique fiscale, l’agriculture est dans un abandon total. L’Europe nous avait promis une économie libérale, mais, en fait, nous n’avons pas d’économie, juste du commerce. Nous ne savons pas ce que sont devenus les 5 à 6 milliards d’euros versés par la communauté internationale. Je crains que l’essentiel ne se soit évaporé dans la corruption et dans la rémunération des 3 800 ONG qui œuvrent dans le pays.
Que représente votre mouvement ?
Nous avons 15 000 adhérents, dont un noyau d’un millier d’activistes. Nous sommes la seule opposition digne de ce nom. Et chaque année nous progressons.