Ségolène entre Zénith et nirvana

L’ex-candidate à la présidentielle a adopté un nouveau style. Mais le discours qui fait de la fraternité son étendard l’est beaucoup moins.

Michel Soudais  • 2 octobre 2008 abonné·es

À l’accueil de la presse, la jeune femme qui vérifie les accréditations me demande de « quelle société » je suis. Bienvenue dans un autre monde ! Le « rassemblement de la fraternité » organisé par Ségolène Royal au Zénith est moins une réunion politique qu’une entreprise de spectacle. Au programme : une quinzaine d’artistes, des chansons et des saynètes, entrecoupées de courts-métrages. Et, bien sûr, le discours de celle qui a voulu cette « fête ». Rien n’est laissé au hasard. Enchaînements travaillés, organisation impeccable. Trop même. J’apprends vite, par un rappel à l’ordre d’une hôtesse, que les photos ne sont autorisées que depuis une plate-forme installée au fond de la salle. Tant pis, je remets mon appareil dans son sac. Quelques minutes plus tard, la même personne m’autorise à m’approcher de la scène, si j’en fais la « demande à un responsable » qui désignera un militant pour m’accompagner. Une condition inacceptable. À l’extérieur, les photographes se concertent. Ils refusent de travailler parqués ou sous contrôle. Les organisateurs cèdent. Ils ont besoin d’images.
La salle de 5 000 places est loin d’avoir fait le plein. Sagement assis, les militants de Désirs d’avenir, autocollant de l’événement sur la poitrine, sont venus de toute la France, certains avec le drapeau tricolore ou les tee-shirts de la campagne présidentielle. Le public n’est pas tout jeune, et Bernie Bonvoisin, le chanteur de Trust, a dû mal à le réveiller. Après le témoignage vidéo de Josiane, ouvrière chez Renault, et un message de Yannick Noah, filmé à un carrefour de New York, il s’enflamme enfin à l’entrée en scène de la vedette de soirée.

Illustration - Ségolène entre Zénith et nirvana


« Je suis là parce que vous êtes là ! » Et réciproquement…
Michel Soudais

La démarche lente, un peu gauche, Ségolène Royal savoure les applaudissements. Et l’effet de son changement de look. Oublié, le style guindé de la campagne présidentielle. En tunique de soie bleue, sur un jean, assortie au bleu du mot « fraternité » qui s’affiche derrière elle, les cheveux nouvellement ondulés, l’ex-candidate apparaît radieuse. Oubliées, l’oratrice figée derrière son pupitre et la diction heurtée. Trente-cinq minutes durant, la nouvelle Ségolène Royal arpente la scène, à la manière d’une actrice, souriant, riant parfois. Sa gestuelle n’est pas aussi assurée que celle d’un Jean-Marie Le Pen, qui, depuis la présidentielle de 1988, discourt en déambulant, suivant une technique empruntée aux télévangélistes américains, mais cette liberté d’allure va de pair avec une liberté de ton.

Quatre jours après le dépôt des motions au congrès du PS, Ségolène Royal a un message à délivrer et un seul : « Je suis là aujourd’hui, je serai là demain. Rien ne me fera reculer. » Le registre est personnel. Elle se pose en victime, du pouvoir mais aussi de ses camarades du PS, évoquant « la “riante” primaire, la “courtoise” présidentielle, les “gentils” coups bas, les “tendres” attaques, les “doux” cambriolages, les “amicales” pressions et les charmantes épreuves personnelles » . Mais une victime « debout » qui « stigmatise les porte-flingues de l’Élysée » et cite Cyrano de Bergerac, « on n’abdique pas l’honneur d’être une cible » , avant d’entamer une révérence. Une victime qui communie avec son public : « Je suis là parce que vous êtes là ! » Les fans sont aux anges.

Ils s’émerveillent de son aisance à citer les paroles d’une chanson de Trust – « Cesse de faire le point, serre plutôt les poings/Relève la tête, je suis là, t’es pas seul » –, un trait d’esprit de Coluche, une sentence de Woody Allen, une pensée de Nelson Mandela, une phrase de Victor Hugo, un mot d’Aimé Césaire. Sans voir ni se douter que leur pasionaria lit son discours sur les plaques de verre transparentes d’un prompteur discret. Du même type que celui qu’affectionnait Jacques Chirac.
Le message politique, restreint, est plus ambigu. Avec des accents antilibéraux, elle prône « l’interdiction de délocaliser et de licencier avec obligation de rembourser les aides publiques si l’entreprise fait des bénéfices » , refuse de « réduire la politique à la gestion » , mais quand elle évoque la crise financière, ce n’est pas le système qu’elle met en cause, juste « la cupidité » de quelques-uns. Pour « transformer » la société, il faut être « meilleur, plus généreux, plus joyeux » qu’elle, lance-t-elle, à l’intention de « tous ceux qui veulent que ça change » , ce qui inclut, précise-t-elle, ceux qui sont « socialistes, à gauche, au-delà, citoyens, démocrates » . La main tendue à François Bayrou n’est pas retirée.

Un tel rassemblement est somme toute assez conforme à la définition que donne Ségolène Royal de la « fra-ter-ni-té » , un mot qu’elle préfère à « solidarité » et qu’elle fait scander par toute la salle dans une sorte de transe finale : « La fraternité, c’est penser à l’autre toujours, parce que ce qui arrive de mauvais à l’autre, où qu’il soit, finit par générer quelque chose de mauvais pour soi-même. » Appliquée aux relations sociales, par l’économiste Philippe Aghion, dans un clip diffusé au Zénith, la fraternité commande d’ « investir dans la confiance entre employeurs et employés » qui doivent cesser de se méfier les uns des autres.

Politique
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