Temps libre
dans l’hebdo N° 1022 Acheter ce numéro
Le titre de cet album, Freedom Fighters , peut se lire de deux manières. Il signale d’emblée que la musique y est dédiée à deux femmes qui ont joué un rôle important dans la lutte contre l’esclavage aux États-Unis : Sojourner Truth et Harriet Tubman. Mais, plus profondément, il relie ce combat pour la liberté humaine à une liberté musicale qui la symbolise et la contient puisque toute la musique qui y est consignée résulte d’un effort pour maîtriser le temps et la durée.
Ce trio joue en effet des décalages entre les instruments. Le pianiste semble retenir l’écoulement du flux temporel lorsque la rythmique (Stéphane Kerecki, basse, Louis Moutin, percussions) accentue la pulsation. Ailleurs, il lance dans le souffle de longs traits virtuoses quand ses compagnons font croire que le temps n’est plus mesuré. Les trois musiciens travaillent la suspension et l’écoulement à partir d’une palette de couleurs subtiles qui sublime l’inspiration mélodique du pianiste, nourrie du blues ou d’Ornette Coleman.
C’est au fil d’un itinéraire atypique que Ronnie Lynn Patterson a acquis cette capacité à travailler le temps. D’abord batteur, il commence à jouer du piano en autodidacte lorsqu’il a une vingtaine d’années. Ébloui par MacCoy Tuner et Keith Jarrett, il s’impose aussi comme un des rares interprètes du compositeur américain Morton Feldman. Bien que le langage de celui-ci soit très éloigné du jazz (ses préoccupations esthétiques sont proches de celles de John Cage), le temps, sa reconstruction entre sons et silence, le refus du brillant par l’ascèse d’une respiration musicale qui introduit à la sérénité trament son univers et ont profondément modelé la manière de Ronnie Lynn Patterson.
Interprète de Feldman et pianiste de jazz, Patterson instille l’esprit du premier dans le langage du second. En découle une forme d’évidence : malgré sa complexité et son raffinement, cette musique semble venir naturellement à l’oreille et, sans jamais que l’intérêt ne se relâche, procurer un contentement tranquille. À nouveau, Ronnie Lynn Patterson rejoint Morton Feldman.