Un bon fonds

Le premier fonds européen de partage tente d’associer la finance
à la lutte contre la faim et pour le développement des pays pauvres.
Un difficile équilibre entre éthique et efficacité.

Philippe Chibani-Jacquot  • 23 octobre 2008 abonné·es

La crise financière ne doit pas nous faire oublier qu’elle se superpose à la crise alimentaire, qui s’est sévèrement aggravée depuis plus d’un an dans les pays du Sud. En raison de la hausse du prix des ma­tières premières agricoles, 75 millions de personnes sont venues grossir les rangs des victimes de la faim depuis un an, selon l’ONU. 923 millions de personnes subiraient ce « crime contre l’humanité » , s’est indigné à maintes reprises Jean Ziegler, l’ex-rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation.
Dans ce contexte dramatique pour les pays pauvres, le vingt-cinquième anniversaire du fonds commun de placement (FCP) Faim et développement [^2] met en évidence un défi difficile relevé par une ONG : transformer un produit financier en outil de solidarité et faire en sorte qu’il soit pérenne et au service du développement. Ce fonds atypique est mis en œuvre en 1983 par le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) à la demande « de congrégations religieuses qui souhaitaient faire profiter l’ONG d’un patrimoine financier dont elles n’avaient pas d’utilité immédiate », raconte Geneviève Guénard, directrice administrative et financière de l’ONG. Avec l’aide du Crédit coopératif, le CCFD propose ainsi un placement inédit en Europe : il s’agit de partager les intérêts annuels entre les souscripteurs et l’association. Autre innovation, l’argent recueilli permet de créer une société chargée d’investir son capital dans des organisations de microfinance des pays du Sud, la Sidi.

Illustration - Un bon fonds


Le CCFD milite également contre la dette des pays du Sud. Verdy/AFP

En un mois et demi, ces congrégations et quelques militants souscrivent 8,7 millions de francs (1,32 million d’euros), soit près de quatre fois plus que le montant minimal d’un FCP. Dans un premier temps, le fonds n’est constitué que d’obligations, évitant ainsi les marchés spéculatifs. Mais les objectifs de rentabilité du FCP imposent dès 1987 de recourir aux actions cotées. Cette première expérience se révélera ­désastreuse, puisqu’en octobre de la même année le krach boursier de Wall Street fait plonger la finance mondiale. Faim et développement enregistre des pertes.

L’expérience laisse des traces et des doutes : comment gérer un produit financier avec les risques que l’on sait et ne rien céder aux marchés boursiers ? « Nous avions des considérations éthiques dès le départ » , explique Geneviève Guénard. Mais ce n’est qu’en 1997 qu’un comité d’orientation est chargé de suivre les choix d’investissement ­d’Ecofi, la société d’investissement du Crédit coopératif. Le CCFD et d’autres ONG, comme Terre des hommes, ­re­joignent les rangs des organismes bénéficiaires des dons. Des représentants des souscripteurs sont aussi invités à participer au comité d’orientation, qui ne dispose que d’un avis consultatif.

« Il y a eu des débats intenses avec le Crédit coopératif » , se souvient Geneviève Guénard, qui représentait alors les congrégations dans le comité. Le CCFD souhaitait imposer des critères d’exclusion, comme le refus de l’industrie de l’armement. La banque préférait utiliser le principe de sélection positive des best in class, un système développé par les agences de notation spécialisées dans le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises, ­telles que Vigeo, dont le Crédit coopératif est client. Celui-ci sélectionne ainsi, pour chaque secteur économique, les entreprises les plus investies dans le développement durable. Les ONG obtiennent aussi que l’armement soit explicitement exclu des choix d’investissements.
Toutefois, on trouve des actions de pétroliers, d’industries du nucléaire ou encore des multinationales de l’agroalimentaire dans le panier de valeurs retenues par le fonds. « C’est toute la complexité de la finance éthique et solidaire, explique Laurence Moret, en charge des financements solidaires et alternatifs au Crédit coopératif. Il nous faut diversifier le portefeuille pour limiter les risques tout en restant vigilants sur l’éthique. » Le FCP est donc organisé en trois compartiments, dont un seul, le fonds Équilibre, investit dans les actions cotées à hauteur de 50 % de l’encours. Fin septembre 2008, cette part était réduite à 25 %.

Loin de l’opacité habituelle des investissements classiques, le comité d’orientation exerce une vigilance accrue, et les souscripteurs sont directement informés, avec l’aide d’Internet, de l’évolution du portefeuille. « Nous nous devons d’être transparents […] Les épargnants nous interrogent directement sur la présence de telle ou telle entreprise dans le fonds », souligne Laurence Moret. Ce qui fait dire à Geneviève Guénard que Faim et développement est aussi un « fonds de plaidoyer ». L’encours actuel du FCP Faim et développement dépasse les 62 millions d’euros et reste le leader des produits d’épargne partage. La répartition des intérêts a généré près de 1,2 million d’euros en 2007, qui sont allés à 90 % à la Sidi. Si Faim et développement reste soumis aux imperfections de la finance éthique, il a le mérite d’aller au-delà de la simple référence aux évaluations des agences de notation extra-financière, en organisant un contrôle citoyen des investissements.

[^2]: Les 25 ans sont célébrés à l’occasion de la première Semaine nationale de l’épargne solidaire, jusqu’au 25 octobre. Informations sur .

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