Une plaie chronique

Dans les émissions culturelles, les chroniqueurs remplissent l’espace du petit écran. Avec l’esprit de guignol pour faire de l’audience.

Jean-Claude Renard  • 16 octobre 2008 abonné·es

Dans « Canal + clair » de la mi-septembre, magazine d’actualités des médias présenté le samedi par Charlotte Le Grix de la Salle, le téléspectateur a vu s’opposer par interview croisée deux journalistes de France Télévisions. À la première question sur la qualité des programmes et l’audience, Frédéric Taddéï répondait que « la télévision est compatible avec tout. On peut faire de l’audience en parlant de science, en parlant de n’importe quoi. Il faut le faire bien. On n’a pas trouvé le truc, simplement » . Et Taddéï de justifier l’absence de chroniqueurs dans son émission, « Ce soir (ou jamais !) », parce que « c’est devenu vraiment la plaie des émissions culturelles ». Sur le plateau de Canal, Christophe Hondelatte a répliqué aussi sec : « Vous voulez que je me montre solidaire de Taddéï alors qu’on travaille sur le même groupe, que ce que je fais c’est de la merde ? ! N’y comptez pas ! […] Je trouve ça peu solidaire, peu compatible avec les exigences de la direction de France Télévisions, et je pense qu’il en entendra parler ! » Menaçant et colérique, Hondelatte. Ce n’est pas la première fois.
Il faudrait pourtant revenir au sens juste du terme « chroniqueur », tel qu’il est, par exemple, défini dans les Trésors de la langue française des XIXe et XXe siècles, sous la direction de Jean-Paul Imbs. Le « chroniqueur » est celui qui « consigne les faits historiques dans l’ordre de leur déroulement » . Par extension, il désigne « celui qui rapporte des propos médisants » ou « rédige des articles pour un journal, une revue, assure une émission radiophonique ou télévisée, et spécialisé dans un domaine particulier » . À regarder l’émission (dite) culturelle, « Vendredi, si ça me dit », inaugurée à la rentrée par Christophe Hondelatte, le ven­dredi, entre 19 et 20 heures, on est loin des Trésors de la langue française. Il y a là un méli-mélo de cinéma, de littérature, de musique, présenté par des chroniqueurs qui sont autant de communicants au service de la consommation. L’audience oscille entre 5 et 8 %, soit deux à trois fois moins que les ­chiffres réalisés par Laurent Ruquier sur la même case, avant l’été.
Hondelatte avait annoncé vouloir « réveiller cette case ». Balle peau. Et prétention d’ego. Son émission est prévue jusqu’à fin décembre. Elle pourrait sauter avant, sachant que cet horaire est plus encore stratégique, car, en janvier, ce sera le dernier moment pour attirer des annonceurs, avant la fin de la pub sur le service public dès 20 heures.

Les chroniqueurs sont devenus légion en émissions culturelles et talk-show. Beaucoup font leur numéro ou jouent les animateurs, chez Drucker, Ruquier, Hondelatte… Ils sont nombreux à intervenir, selon un cachet tabou, sans jamais apporter de réelle critique ni l’éveiller. Le statut de ces chroniqueurs et leur présence dépassent largement le cadre des émissions culturelles ou de divertissement. En télé comme en radio. Dans un autre genre (si l’on songe encore à Bourmaud, Duhamel et Adler), ils sont nombreux dans la tournée des popotes. À intervenir, en stars, sur le service public ou dans le privé, indifféremment. Ça tourne en rond, au détriment d’un renouvellement de la pensée. Mais peu importe, puisque seule l’audience compte.

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