Courrier des lecteurs Politis 1027
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De la lapidation comme pratique démocratique…
Hazem, ils t’ont donc lapidé. Mais tes jours ne sont pas en danger, dit la dépêche. Heureusement. Ils t’ont donc encore raté. La fois précédente, c’était avec des balles, te mutilant suffisamment pour que tu ne puisses plus faire ton métier de cameraman, et t’obligeant à te « reconvertir » dans la photographie. Bien sûr, les colons d’Hébron n’aiment pas qu’un photographe de l’AFP transmette les images de la vie quotidienne à Hébron. Mais aucun colon n’aime qu’on rapporte ce qu’est la réalité quotidienne de l’occupation.
J’écris « lapidé » parce que, quand un gamin lance des cailloux sur un char de cinquante tonnes, ça s’appelle un jet de pierres, mais quand cent colons lancent des pierres sur un homme, ça ressemble beaucoup à une lapidation.
En avril dernier, Hazem, tu nous as montré une partie de Hébron, tu nous as guidés dans cette ville divisée en deux depuis que deux cents colons occupent en toute impunité le centre de la ville sous la protection de l’armée israélienne, complice. Nous avons parcouru avec toi les petites rues arabes dominées par les immeubles accaparés par les colons. Petites rues couvertes de grillages pour se protéger du jeu favori des colons : bombarder les passants avec tout ce qui leur tombe sous la main, sans exclure les briques ni les parpaings, et surtout déverser leurs excréments, ce qui semble être pour eux le must de la civilisation.
Nous avons parcouru quelques-unes de ces rues vidées de leurs habitants : mille huit cents commerces ont été évacués de force par les troupes d’occupation. Les rideaux de fer sont baissés. Un certain nombre sont tordus ou vandalisés par les colons juifs. La plupart sont barbouillés à la peinture d’étoiles de David, dans un retournement d’image qui laisse sans voix […]. Nous avons constaté que, si les colons se déplacent comme ils veulent dans cette partie de la ville, les Palestiniens, eux, n’ont pas le droit d’entrer en voiture. Or, le quartier est très escarpé. Imaginez l’effort pour monter des courses (on ne parle même pas de monter des meubles). Détail, dira-t-on… Les droits de l’homme ne prévoient pas le droit de monter les courses chez soi. Ce n’est pas bien grave. Non, ce n’est pas bien grave, c’est juste l’image de la réalité quotidienne de l’occupation, de l’arbitraire imposé avec minutie, développé avec malignité […].
Hazem, ils t’ont donc lapidé. Mais tu as de la chance.
En avril dernier, quand nous t’avons quitté, nous sommes allés à Billin, ce village qui résiste à la construction illégale du mur. Tôt le dimanche matin, nous marchions dans la colline, et Ibrahim nous a croisés et nous a guidés en nous expliquant la situation : « Oui, il y a un jugement qui dit que le mur doit être déplacé » (Israël est un État de droit), mais (rouerie suprême) l’État dit qu’il n’a pas les crédits pour faire ce déplacement ; après la marche dans le village, Ibrahim nous a offert le café dans la maison familiale, celle où son frère est en fauteuil roulant depuis que les soldats israéliens lui ont tiré dessus, le rendant paralysé à vie. En mai, il y a eu cette vidéo de la manifestation hebdomadaire, où l’on voit Ibrahim rejeter par-dessus la barrière de barbelés les projectiles incendiaires israéliens. De l’autre côté du grillage, un soldat israélien s’approche, ajuste Ibrahim et tire. Vois-tu Hazem, tu as eu de la chance. À vrai dire, Ibrahim aussi a eu de la chance. Une chance que deux autres enfants de Billin n’ont pas eue : mardi 29 juillet, Ahmed Husan Yousef Mousa, 10 ans, a été tué par les soldats israéliens. Et pour faire bonne mesure, lors de son inhumation, le lendemain, les soldats israéliens ont tiré à nouveau : ils ont visé à la tête Yousef Amira, et ne l’ont pas raté.
Hazem, ils t’ont lapidé. Mais tu as vraiment de la chance. Dans mon pays, patrie des droits de l’homme, de grandes voix vont s’élever. Tous les épris de justice vont dire que « trop, c’est trop », qu’il faut en finir avec l’occupation. Peut-être même certains pousseront-ils l’audace jusqu’à exiger qu’on arrête de lapider les journalistes…
Jean-Paul Hébert
Chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales, membre du comité central de la Ligue des droits de l’homme.
Soyons curieux !
Voici les propos d’Olivier Gourmet (dont la filmographie depuis 1996 est à découvrir, pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, au-delà de ses trois dernières apparitions dans Coluche, Mesrine ou Home), tenus dans l’émission « Eclectik » de Rebecca Manzoni du 2 novembre 2008 sur France Inter : « Juste un appel, un appel urgent. C’est que, aujourd’hui, avec tout ce qu’on essaie de nous faire croire, par ce battage incessant médiatique, sur certains films, sur certaines choses, sur les goûts qu’on devrait avoir, les gens manquent de curiosité. Donc, je fais un appel vibrant, dans cette minute de solitude, seul chez moi, un appel vain peut-être, utopique, à ce que les gens soient plus curieux, soient plus solidaires, regardent, se laissent faire, se laissent toucher, émouvoir, par ce qui est proche d’eux ou par ce qui est loin d’eux, et qu’ils soient beaucoup plus curieux. Parce que le cinéma, c’est la vie, ce n’est pas quelque chose de formaté, ce n’est pas quelque chose de caricatural, c’est un outil formidable pour se rencontrer les uns les autres, pour se parler des uns et des autres, pour se comprendre peut-être mieux les uns et les autres, pour gommer les différences, tout en les gardant évidemment, les faire accepter. Voilà, soyez curieux, la curiosité, malgré ce qu’on peut dire, n’est pas un vilain défaut. »
Oui, soyons curieux, pour aller au-delà de l’information formatée qui nous est distillée dans tous les médias officiels, et probablement cela contribuera, outre le fait de mieux comprendre ce qui nous entoure, à écouter, à comprendre et à nous rapprocher de ceux qui nous entourent.
Pascal Bouteiller, Le Rheu (Ille-et-Vilaine)
Politis et les initiatives à gauche
Attaché, comme la plupart des lecteurs de Politis , à la construction d’une gauche démocratique, solidaire et écologiste, en France et en Europe, je regrette que Politis ne nous informe guère sur toutes les initiatives en ce sens, que ce soit, par exemple, l’appel de Miremont, le Nouveau Parti anticapitaliste, le MAI, mouvement politique pour une convergence des alternatives à la globalisation et pour la sortie du productivisme, et peut-être d’autres initiatives […].
C’est regrettable, car nous avons sans doute besoin de toutes ces initiatives pour exister enfin politiquement. Laquelle est la plus prometteuse ? Je ne sais, bien que signataire et militant local de l’Appel de Politis . Nombre de signataires de chacune de ces initiatives n’ont pas la prétention d’avoir fait le meilleur et le seul choix possible. Le risque est cependant que, par une sorte de sectarisme, il en sorte plusieurs mouvements « unitaires » en parallèle : nous répéterions alors la situation de la présidentielle de 2007, où la gauche de gauche s’est ridiculisée par ses divisions picrocholines. J’espère que toutes ces initiatives se rejoindront : encore faut-il les connaître, les évaluer. C’est le rôle d’un journal de nous informer sur les avancées et les problèmes de chacune d’entre elles.
Il est en outre dangereux pour un journal d’information de s’engager trop en faveur d’un seul et unique mouvement politique. Le premier risque est de ne plus parler des autres, ou, pire, de les critiquer systématiquement : le sectarisme guette. Le second risque est, si ce mouvement politique se révèle être un échec, de sombrer avec lui. Or, quel que soit l’avenir de l’Appel de Politis, nous aurons besoin d’un tel journal.
Robert Joumard, Bron (Rhône)
La coordination nationale du NPA a donné lieu à un large compte rendu. Et Politis avait également un journaliste à Miremont fin août. Mais nous pouvons faire plus et mieux sans aucun doute.
De l’affectif en politique
Je sais gré à Bernard Langlois de nous mettre en garde contre l’émotion en politique. Elle est mauvaise conseillère, et je crains moi aussi une sérieuse gueule de bois une fois dissipé « l’effet Obama ». Tant mieux si je me trompe. Mais je m’interroge sur ses propos. Qu’en était-il de l’affectif dans le premier de ses deux exemples : quand il prônait « à chaud » le refus de voter Chirac au deuxième tour de 2002 (comme j’ai refusé de le faire et en suis toujours fier) ou quand il a « dû » (le mot est quand même curieux) se rallier au vote Chirac « sous la double pression de la rédaction et de nombreux lecteurs » (sic). Une décision prise « sous la pression » de qui que ce soit serait-elle moins affective qu’une arrêtée « à chaud » ? Dieu seul le sait, mais en est-il bien sûr ? Le second exemple n’est pas plus probant. Quand on était un tant soit peu de gauche, le 10 mai 1981, pouvait-on faire quoi que ce soit d’autre que se réjouir ? Regretter la défaite de Giscard, peut-être ? L’affectif est donc bien difficile à éliminer de la politique. Et les plus malins s’en servent très bien. Notre actuel président, par exemple, ne nous a-t-il pas caressés dans le sens de l’affectif en nous disant qu’il allait « moraliser le capitalisme » et qu’on allait voir ça ? Et ça a marché. Le monde entier (mort de trouille devant la Crise avec un très grand C) a applaudi. Un mois après, son fameux G20 a déjà fait « pschitt » (comme disait l’autre) avant même de se tenir. Mais ce n’est pas grave. C’est l’effet d’annonce qui compte – où irait-on si tous les propos politiques étaient suivis d’effet, je vous le demande un peu –, et l’effet d’annonce, c’est de l’affectif, non ? Les révolutions elles-mêmes sont-elles autre chose que de l’affectif (à 75 %, mettons) ? Ah, la, la, ma bonne dame, on n’est pas sortis de l’auberge (affective) où l’humanité a pris pension depuis le début de l’Histoire, croyez-moi.
Philippe Bouquet, Le Mans (Sarthe)