Courrier des lecteurs Politis 1028
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La droite, la gauche et la crise
Le dossier consacré à la crise (n° 1026 de Politis), s’il en pointe bien les causes essentielles et dessine quelques-unes des réponses qu’il convient de lui apporter [^2], me paraît en revanche pour le moins timide en ce qui concerne la dénonciation des politiques économiques qui en sont responsables, timidité qui traduit à mon sens à la fois les illusions que porte une frange du mouvement social et la tragique vacuité à laquelle est rendue la gauche aujourd’hui.
On y lit en effet que des ONG « ont appelé l’Union européenne à défendre une réforme de la gouvernance mondiale » . Plus loin, c’est un collectif qui déclare que si les gouvernements des 27 le voulaient (?), on pourrait « limiter la liberté de circulation des capitaux et interdire toute transaction financière avec les paradis fiscaux » ! Et cela à côté d’un encart d’autopromotion de Politis qui nous annonce qu’ « on n’a pas attendu Sarkozy pour dénoncer le capitalisme » !
Eh bien, je ne pense pas que le président Sarkozy dénonce le capitalisme, pas plus que le candidat Sarkozy ne défendait les travailleurs et le pouvoir d’achat. Et je ne crois pas davantage que les gouvernements actuels de l’Union européenne « pourraient » initier une politique diamétralement opposée à celle qu’ils mènent continûment depuis trente ans et dont ils poursuivent d’ailleurs méthodiquement la mise en œuvre, notamment en France (pendant la crise financière, la libéralisation de l’économie continue !).
Je précise en effet à l’attention des naïfs que le Luxembourg est membre (fondateur) depuis 1957 de ce qui est devenu l’Union européenne. Un demi-siècle plus tard, il est temps de s’apercevoir que c’est un paradis fiscal ! Quant à la liberté de circulation des capitaux, dois-je rappeler que ce principe essentiel du néolibéralisme actuel a été constitutionnalisé par les gouvernements européens et avalisé par le Parlement français il y a à peine neuf mois ? Avez-vous entendu quiconque dénoncer récemment cette incongruité et l’indécence de certains discours de droite comme de « gauche » ?
La situation actuelle, qui devrait pourtant ouvrir un boulevard à la promotion de politiques de rupture véritable en matière sociale et environnementale, voit au contraire les responsables politiques de la déconfiture du système tenir le haut du pavé.
Cela ne serait évidemment pas possible sans la déliquescence idéologique à laquelle la gauche est parvenue et les jeux de pouvoir auxquels elle se réduit souvent aujourd’hui (et cela ne concerne pas seulement le PS…). Mais, miracle de la dialectique, cette déliquescence n’est sans doute pas sans rapport avec les politiques que cette même gauche a menées dernièrement, lorsqu’elle était au pouvoir, et qui ont contribué amplement à la déconfiture évoquée précédemment.
Oui, décidément, du passé (de ce système, de cette « gauche »-là) faisons table rase !
Bertrand Eberhard, Paris
Une noble discipline
Le congrès de Reims restera […] un échec pour le PS. Ce fut un spectacle pitoyable que de voir ces ego hypertrophiés faire passer leurs ambitions personnelles avant le débat d’idées et l’intérêt de leur parti. Celles et ceux qui prétendent incarner le PS en se présentant comme le meilleur candidat ou la meilleure candidate anti-Sarkozy n’ont toujours pas compris qu’il ne suffit pas de s’opposer pour exister. Critiquer systématiquement tout ce que fait ou propose le pouvoir en place, c’est se donner le beau rôle, mais cela ne fait pas illusion longtemps. La démocratie n’a que faire de ces basses stratégies, de ces formules assassines, de ces sourires de façade qui se figent en rictus à l’évocation des ennemis du parti d’en face ou de son propre parti.
Faire des propositions concrètes et innovantes, mettre au point un programme à la fois réaliste et ambitieux, imaginer et développer des solutions qui marchent, voilà ce que nous attendons d’une opposition constructive.
La politique, la vraie, est une noble discipline.
Maxime Daubenton, Cambrai (59)
Réforme, vous avez dit réforme ?
La révision générale des politiques publiques (RGPP), ou de l’art encore une fois de gaspiller joyeusement l’argent public pour faire des économies ! […]
Décidément, l’argent ne manque pas, contrairement à ce qui nous est asséné à longueur de discours sarkozystes puisque, dans le cadre de la réforme du dédouanement engagée au niveau du ministère du Budget, on assiste à d’étonnantes « solutions » économiques.
Par exemple, on va fermer un centre douanier avec des locaux rénovés il y a peu au niveau des structures (peinture, moquette, mobilier, climatisation, câblage informatique – pour quel montant au total ?), installé dans une zone industrielle et portuaire flambant neuve (visitée par notre cher Président peu de temps avant son élection), et où l’État, la région et la Communauté européenne ont investi quelques petits euros pour faire du port un outil performant inauguré en grande pompe le 18 septembre.
Sera conservé, ailleurs, un bâtiment exigu, mal adapté, situé à côté d’un hypermarché dans une zone commerciale et hôtelière, sans accès ferroviaire ou fluvial, et que certains intérêts financiers aimeraient bien voir disparaître vu son positionnement fort intéressant pour leurs affaires. Centre qui, de plus, voit certains de ses plus gros « clients » en instance de départ pour cause de délocalisation ou de fermeture…
En revanche, on conservera le « chef », puisqu’il est installé dans la ville où siège la préfecture, et qu’il faut bien assurer la représentation auprès des autorités, et puis les chefs, on n’y touche pas. Tant pis s’ils n’ont rien à commander, si ce n’est le fameux centre maintenu, installé à 70 km de sa base, et un autre, à 180 km. […]
Entre les économies voulues par l’État (qu’on ne contestera pas) et les soucis écologiques affichés, on peut se poser des questions sur les choix économiques et la préférence donnée à un lieu « tout camion » et à l’avenir incertain, par rapport à un emplacement quasi neuf avec des embranchements ferroviaires, une ouverture fluviale et des infrastructures multiples et opérationnelles, inauguré il y a à peine trois mois.
Rationalisation et économie, nous dit-on. Bizarre ! […]
Il pourrait être édifiant d’étudier le schéma de l’aménagement douanier prévu pour les années qui viennent. Entre le « tout est permis » et le « on contrôlera après », combien de problèmes comme ceux rencontrés avec les produits chinois ou d’ailleurs auront vu le jour ? […]
Pas grave si des gosses sont intoxiqués par des petites voitures aux peintures contenant un taux de plomb trop élevé, des peluches et des jouets non conformes et dangereux. On régularisera après, quand il y aura eu assez d’accidents.
De toute façon, les responsables seront toujours ceux de la base qui ont laissé entrer ces marchandises sans les contrôler, et non pas ceux qui les ont empêchés de faire leur travail et qui, eux, couleront des jours heureux au sein d’une direction où l’on comptera bientôt plus de petits chefs que de personnes pour faire le travail de terrain. […]
La douane moderne de demain ou « l’armée mexicaine » : vingt personnes pour en commander dix, pour en commander une qui fait, ou plutôt essaiera de faire son travail.
J.-G. Bourguignon
Le système carcéral en France
Je livre à la curiosité du lecteur tout ce que j’ai compris de la conférence de Gabriel Mouesca à la fête du Kiosque le 8 novembre dernier. Mouesca est président de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP). Un personnage singulier qui force l’admiration, un parcours d’exception qui nous place devant l’évidence que les alternatives sont des défis politiques pour changer la vie. […]
S’il y a une chose sur laquelle le temps se garde d’influer, c’est bien l’univers carcéral, et cela tant sur la forme que sur le fond. En prison, dès que la première porte se referme sur le condamné, celui-ci se retrouve dans la gestion d’un autre temps, celui de son horloge interne, celui qui se compte à rebours et qui monnaye sa peine. Immuable depuis des temps « immémoriaux », la prison pérennise un attachement légendaire à la punition au-delà de la peine jugée, et c’est l’accumulation d’humiliations qui procède inexorablement à la déshumanisation du condamné, sa déconstruction, dans un univers de « non-droit contractuel ».
« Moderniser » les prisons […] est une urgence qui devrait entraîner de grands débats de société. J’entends démocratiques et citoyens. L’absence de débat philosophique sur la peine de prison et son opportunité dans le monde de demain nous renseigne sur le désintéressement à la fois de l’État et de la société civile. La vétusté matérielle comme psychologique du système carcéral ne reflète-t-elle pas d’autres vétustés de l’État de droit ? […]
Même les prisons « modèles », les dernières construites, ont l’odeur de Bastille. Les suicides y sont exponentiels, comme dans l’ensemble des autres établissements de France. Gabriel Mouesca a recentré le débat sur la problématique de la surpopulation dans les établissements pénitenciers. Pour résoudre ce problème, il faudrait commencer par faire sortir tous ceux qui non rien à y faire. La grande majorité des incarcérés sont issus de familles où la pauvreté s’est invitée un jour sans coup férir, tout au long des deux dernières décennies. La France détient le triste palmarès de plusieurs autres records qui sont autant d’atteintes portées aux droits de l’homme. L’État a promis de construire, d’ici à 2012, 13 000 places supplémentaires ; or il se désengage de ses responsabilités, pour céder toujours plus de profit au privé. Pourquoi pas céder la Justice, déjà fragilisée dans son indépendance ? […]
Luis Lera
[^2]: À cet égard, Jacques Généreux me semble avoir dit l’essentiel lors de son entretien : « Si on ne rend pas l’argent aux travailleurs et aux investisseurs qui œuvrent au sein de l’économie réelle […], ça ne changera rien. »