Cultiver son réseau

Les 1 500 associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), disséminées dans toutes les régions de France, sont actuellement en discussion pour construire une structure nationale.

Manon Loubet  • 6 novembre 2008 abonné·es

« Nous sommes tous dans le même bateau, explique Shah-Dia Rayan, animatrice du réseau des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) en Île-de-France. C’est logique et naturel que nous nous regroupions. » Les Amap, implantées dans les différentes régions de France (près de 1 500 depuis 2001), éprouvent aujourd’hui le besoin de se réunir pour former une voix unique. Ces associations reposent sur un accord passé entre des consommateurs et un agriculteur. Les premiers s’engagent à acheter une part de la production en début de saison, le second distribue un panier de produits frais toutes les semaines. Les acheteurs deviennent consom’acteurs car ils participent à la vie de l’association. À tour de rôle, un adhérent est responsable de la distribution de la semaine. Il est chargé d’installer les cagettes de produits que le fermier a apportées, d’indiquer sur un tableau la composition du panier de la semaine, et d’accueillir les autres ­membres. « Être Amapien, ce n’est pas seulement acheter un panier de légumes, c’est un partenariat » , explique François Pelatan, animateur du réseau des Amap Aquitaine.

Illustration - Cultiver son réseau


L’Amap Le Figuier de Beaudinard, près d’Aubagne, fournit une trentaine de familles. DR

Cette formule attire de plus en plus de clients qui militent pour un retour au circuit court, une relocalisation de la production et de la consommation. Leur slogan : « Mettre le visage du fermier sur la nourriture. » Les Amapiens refusent la notion de « kilomètres alimentaires » : « Je ne veux pas manger un fruit ou un légume qui a parcouru 3 000 kilomètres pour parvenir dans mon assiette » , explique François Pelatan. Les Amap sont également garantes d’une qualité des aliments consommés : elles prônent en effet une agriculture paysanne, de saison et écologiquement saine. Pour les modalités de fonctionnement, chacun se réfère à la charte rédigée en 2003 par Alliance Provence, le réseau des Amap de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur.

Malgré l’existence de cette charte, des disparités sur la vision déontologique des Amap sont apparues au cours des dernières années, notamment à propos de l’évaluation de l’éthique des produits. « Ce thème est compliqué à aborder. Les acteurs ne sont pas tous d’accord » , reconnaît Gaëtan Vallée, du réseau d’Alliance Provence. Les paysans en Amap ne produisent pas obligatoirement bio. Certains sont partisans d’un label Agriculture biologique (AB), quand d’autres plaident pour une agriculture paysanne qui n’utilise des pesti­cides qu’en cas de nécessité. En effet, la mise en place d’une agriculture bio coûte très cher aux agriculteurs, et la conversion s’avère souvent difficile. « Les Amap peuvent faire évoluer les producteurs. S’ils ne sont pas labellisés AB, ce qui est fréquent, nous leur proposons, s’ils le souhaitent, de les aider à passer au bio » , précise François Pelatan.
Ces conflits entre les adeptes du label AB et les défenseurs de l’agriculture paysanne ont été très forts en région PACA : « Il y a deux ans, nous avons connu des tensions difficiles. Le réseau national sera pour nous plus apaisant qu’exclusif » , assure Gaëtan Vallée. Réseau national ou interrégional ? Les associations et coordinations n’ont pas encore tranché, même si elles sont d’accord pour attribuer une voix nationale aux Amap et apaiser les tensions.
« Nous avons déjà déposé le terme Amap à l’Institut national de la propriété industrielle, il nous faut maintenant une propriété intellectuelle afin que les Amap gagnent en visibilité » , souligne Gaëtan Vallée. Car le décalage est surprenant entre la notoriété croissante des Amap et leur relative absence au sein des débats sur les questions agricoles, alimentaires et environnementales. Une identité politique, telle qu’un réseau national ou interrégional, donnera la parole aux initiatives citoyennes que regroupent les Amap. Les Amapiens regrettent, par exemple, de ne pas avoir pu participer au Grenelle de l’environnement au motif qu’ils n’avaient pas d’organisation nationale.

La constitution d’un réseau est la suite logique de la prolifération des Amap : « En Aquitaine, leur nombre augmente de 10 à 20 % par an, c’est remarquable » , se félicite François Pelatan. Elles commencent à toucher un public de plus en plus hétérogène, pas nécessairement militant. Nombreux sont ceux qui découvrent les Amap au détour d’une conversation et sont séduits par le principe. Anne-Lise Morel et Benjamin Eustache, étudiants d’une vingtaine d’années, sont inscrits à l’Alter Conso de Lyon depuis bientôt huit mois : « Des gens qui nous hébergeaient nous ont parlé des Amap, et cela nous a donné envie. Depuis, nous essayons d’en parler le plus possible autour de nous. » Par le bouche-à-oreille, le système progresse et gagne en popularité.
Les associations ressentent aussi le besoin de mutualiser leurs énergies et leurs pratiques afin d’être plus efficaces. « Il est nécessaire de travailler tous ensemble. C’est dommage de faire chacun les mêmes choses dans son coin », estime Shah-Dia Rayan.
Des réunions sont organisées environ tous les deux mois afin de préparer la création du réseau. La prochaine est prévue à la mi-janvier. Un rendez-vous a été fixé fin 2009 pour le grand soir : un ultime rassemblement devrait propulser le nouveau réseau.

Temps de lecture : 5 minutes