Des élections sous haute tension
Quelques mois après l’adoption de la « position commune » sur la représentativité, les élections prud’homales donnent le coup d’envoi à un remaniement profond du paysage syndical.
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C’est à grands coups de meetings, de publicité et de clips diffusés sur le Net que la campagne est lancée. Tour de France médiatisé pour les « stars » du syndicalisme, multiplication des réunions de proximité à l’Unsa… La CFE-CGC, qui communique depuis le printemps dernier, reconnaît qu’elle « a mis des moyens considérables » pour sortir la tête haute de ces élections. Les syndicats ont sorti le grand jeu pour amener 19 millions de salariés du privé et de chômeurs aux urnes le 3 décembre prochain. Car l’enjeu est historique. Première étape d’un grand chambardement de la carte syndicale, ces prud’homales 2008 détermineront l’orientation politique du syndicalisme de demain. Et la nature même des relations sociales en France.
Au cœur du problème, la « position commune » adoptée par la CGT, la CFDT et le Medef le 9 avril dernier. Coup de tonnerre dans le paysage syndical, ce texte fondateur a fait tomber la « présomption d’irréfragabilité » qui instituait jusqu’alors la représentativité inconditionnelle de cinq confédérations (CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC), l’Unsa et Solidaires n’en bénéficiant pas. Désormais, toutes les organisations syndicales devront se confronter au vote et arracher au moins 10 % des suffrages au premier tour des élections professionnelles dans les entreprises pour espérer s’asseoir à la table des négociations. Une aubaine pour les états-majors nationaux, assurés de relever le défi haut la main. Mais une gageure pour les « petites » organisations, qui joueront leur survie.
Désormais, les organisations devront recueillir au moins 10 % des suffrages au premier tour des élections professionnelles pour espérer figurer à la table des négociations.
Daniau/AFP
Dans ce contexte de resserrement de l’échiquier syndical, les prud’homales sont le premier round d’un combat pour la représentativité qui s’achèvera aux alentours de 2013, quand seront faits les comptes du cumul des élections professionnelles. Elles font office de test grandeur nature : les trois grosses centrales (CGT, CFDT, FO) y mesureront leur influence ; les autres organisations, leurs chances de réchapper à une mort annoncée en entrant dans des stratégies de coalition. « Outre leur utilité première d’élire des conseillers, ces prud’homales sont déterminantes au niveau symbolique, souligne Dominique Andolfatto, maître de conférences à l’université de Nancy. Les organisations qui s’estiment lésées par le texte sur la représentativité veulent montrer qu’elles existent. »
Bref, il s’agit de ne pas perdre la face. La CFTC, qui avait plaidé pour que les prud’homales soient retenues pour déterminer la représentativité, se retrouve ainsi sur la corde raide. En effet, si le syndicat réalise de bons scores dans les établissements où il est présent, « on est moins bons aux élections professionnelles car moins bien représentés dans les entreprises publiques », reconnaît son secrétaire général, Philippe Louis.
Le syndicat chrétien a certes connu une relative progression aux prud’homales depuis les années 1980. Mais, alors qu’en 2002 l’organisation était restée à la lisière des 10 %, son objectif de recueillir 15 % des voix apparaît aujourd’hui quelque peu chimérique. Un score que la CFTC devra pourtant réaliser pour espérer faire partie de ceux qui comptent.
À moins que, pour continuer d’exister, cette dernière ne s’inspire de la stratégie de regroupement engagée par la CFE-CGC et l’Unsa. L’alliance, qui devrait se concrétiser début 2010, a pour ambition de détrôner Force ouvrière de sa troisième place au classement national. « En tant que syndicat catégoriel des cadres, nous échappons aux règles de la position commune, souligne Gérard Labrune, secrétaire général de la CFE-CGC. On aurait pu rester bien au chaud dans nos pantoufles, mais nous avons décidé de prendre le risque de diluer nos voix d’organisation catégorielle pour nous rapprocher de l’Unsa. » Même si on ne l’avoue pas comme tel, la fusion reste suspendue au score que réalisera le syndicat autonome. En attendant, la CFE-CGC entend recourir à un référendum populaire pour faire annuler la position commune, « un texte signé par deux organisations qui veulent régner sans partage » , estime Gérard Labrune.
Loin de la ligne réformiste portée par toutes les autres organisations, l’union syndicale Solidaires incarne le va-tout contestataire. Elle entend démontrer son implantation dans le privé en atteignant la barre des 5 %. Même si les moyens manquent pour rivaliser. Le gouvernement, qui a dépensé plusieurs millions d’euros pour financer les campagnes des six autres centrales syndicales en lice, ne lui a rien attribué. « Le gouvernement a décidé de nous évacuer des élections au prétexte qu’on avait fait un score trop bas en 2002 [1,5 %, NDLR]. Nous sommes en outre discriminés dans les médias. Même le CSA a reconnu qu’il n’y avait pas égalité de traitement » , s’insurge Thierry Lescant, coordinateur de la campagne. Reste que l’union a des chances de monter en puissance. Créditée d’une bonne image auprès des jeunes, notamment après sa participation active aux mouvements contre le CPE, elle pourrait bien rafler les voix des déçus du tournant réformiste de la CGT.
La CGT, qui se maintient en tête des prud’homales depuis 1979, connaît ainsi une érosion régulière. Et souffre de brouilles internes entre ailes réformiste et contestataire. Au point qu’à Douai, l’union locale CGT mène une liste concurrente de celle adoubée par les dirigeants nationaux. Quant à la CFDT, elle pourra vérifier si la stratégie un poil plus offensive de ces derniers temps est au final avalisée. Personne, pourtant, ne s’attend à un coup de théâtre : « Certes, les résultats des prud’homales montrent des changements assez subtils. Mais ils dessinent des tendances fortes » , affirme Jean Grosset, secrétaire général adjoint de l’Unsa.
Pour capitales que soient ces élections, ni l’expérimentation du vote électronique à Paris ni l’assouplissement du vote par correspondance ne devraient suffire à enrayer l’abstention, qui atteint des niveaux records depuis vingt ans. « Avec seulement un tiers de votants, les prud’homales sont de moins en moins représentatives, constate Guy Groux, chercheur au Cevipof (centre de recherches politiques de Sciens Po) . Les salariés votent pour des conseillers qu’ils pensent compétents plutôt que pour signifier leur mécontentement face à la politique actuelle. » Et appréhendent de manière très technique une élection éminemment politique. Un malentendu qui pourrait coûter cher à la variété des contre-pouvoirs dans l’entreprise.