D’une élection l’autre
dans l’hebdo N° 1025 Acheter ce numéro
Une élection pouvant en cacher une autre, ce n’est pas tant celle du 44e président des États-Unis d’Amérique (quand vous lirez ces lignes, vous devriez connaître son nom : l’avance de Barack Obama, en ce lundi matin, semble lui assurer une victoire qui donne déjà lieu à une telle débauche d’enthousiasme médiatique que, comme toujours, un événement plutôt sympathique nous en est déjà presque gâché…), ce n’est pas tant – disais-je – l’élection américaine qui préoccupe quelques milliers de nos concitoyens dûment identifiés comme adhérents d’un parti politique qui revendique, contre toute réalité, le nom de « socialiste ».
C’est celle de leur nouveau chef à plumes appelé, dans leur jargon : Premier secrétaire.
Quelques milliers ? Le PS revendique 170 000 adhérents (167 953 précisément), mais son bureau national a arrêté à 233 000 le nombre de votants potentiels. Cherchez l’erreur !
Il n’y a pas d’erreur : les quelque 65 000 d’écart représentent des adhérents qui n’ont pas payé leur cotisation depuis le 31 mars 2006. Soit deux ans d’arriérés (et des poussières) qui leur permettront quand même de voter pour ce congrès, à condition de régulariser leur situation le jour du scrutin (c’est-à-dire ce jeudi 6 novembre, jour du vote des sections), ainsi le veulent les statuts [^2]. Autant dire qu’on est dans le flou : que vont faire ces adhérents fantômes, venus à prix soldés, charmés par la Pimprenelle du Poitou, et depuis disparus dans la nature ? Peu probable qu’ils soient très nombreux à se réveiller… Quant aux 170 000 autres, à jour, eux, de leurs timbres, est-on bien sûr qu’ils se déplacent en masse pour mettre leur bulletin dans l’urne ? De l’avis général, la campagne ne mobilise pas les foules militantes, ce pourquoi je dis : quelques milliers.
Par habitude, par entraînement, par clientélisme, ils seront bien sûr plus nombreux que cela à voter. 60 %, davantage ? On le saura vendredi. Mais qui se sentent vraiment concernés, combien ?
UN PATRON
Longtemps, le PS a placé à sa tête une personnalité de tout premier plan : l’un de ceux qui revendiquaient, outre la première place dans l’appareil, un rôle éminent dans la vie politique nationale, de préférence le premier.
Sans remonter à la SFIO (l’ancêtre mort sans gloire après s’être embourbé dans la guerre d’Algérie), le Parti socialiste né à Épinay en 1971 (lors du congrès dit « d’unification des socialistes » ) s’est doté d’un patron qui, pour s’être converti sur le tard, parlait socialiste mieux que personne [^3] : il était clair que celui-là ne quitterait le premier tabouret du Parti que pour le siège curule de l’Élysée. Après Mitterrand, tous les chefs de tente rivaux ont occupé la place avec plus ou moins de bonheur, enveloppés dans les mêmes rêves, caressant les mêmes ambitions – et se neutralisant l’un après l’autre à grands coups de complots, de renversements d’alliance, de trahisons : de l’exemple du Florentin, ils avaient surtout retenu la science de l’intrigue. Avec Hollande, est venu le temps des seconds couteaux. On l’aura laissé durer jusqu’à l’usure. Aujourd’hui, aucune tête ne s’impose.
Celle qu’on va sacrer à Reims peut être celle de n’importe qui. Ou presque.
LA STÈLE
Pas étonnant que ça traîne des pieds devant des choix quasi interchangeables – ils appellent ça des motions – et dans l’attente des petits arrangements entre amis souscrits dans l’aube grise – ils appellent ça : commission des résolutions.
Quatre motions principales, plus deux qui se disputent le rôle de la cerise sur le gâteau. Aucune ne dégagera à elle seule une majorité – ou ce serait une sacrée surprise ! –, et toutes sont compatibles entre elles, même celle dite « de gauche » que conduit habilement le jeune Hamon : n’est-ce pas à l’unanimité (ou si je me trompe ?) que fut récemment adoptée une « déclaration de principes » qui jetait les dernières pelletées de terre sur le cercueil du socialisme des pères fondateurs, enterrés avec la révolution, la lutte des classes et autres vieilleries ?
Et un chrysanthème social-libéral pour orner la stèle.
LA CRISE
Ça tombe mal : le monde est confronté à une crise d’une ampleur sans précédent, dont les effets ne se feront sentir que progressivement.
Et cette crise est celle du capitalisme, du marché, du libre-échange, de la mondialisation, toutes ces « valeurs » auxquelles le Parti solférinien s’est peu à peu rallié, en s’enfermant dans une construction européenne qui leur sert d’écrin [^4]. Autant dire qu’il n’a rien à dire sur la crise, n’ayant plus d’outils dans sa boîte, n’ayant d’ailleurs plus de boîte à outils : normal, quand la sociologie du parti est telle que la classe ouvrière en est quasiment exclue ! Les plus ou moins hauts fonctionnaires qui constituent l’essentiel de l’effectif ne bricolent plus guère à la clé de douze et déjeunent plus volontiers chez Thoumieux qu’à la cantine. Bref, le PS est un parti bourgeois : de grands bourgeois comme têtes d’affiche, de petits-bourgeois comme supporters – tous plus ou moins élus, ou salariés d’élus. Tous plus soucieux de conserver et conforter des fiefs électoraux, qui sont aussi leur gagne-pain, que de – comment vous disiez déjà ? – *« changer la vie ! ».
*
Depuis presque un demi-siècle, la plupart – jeunesse fougueuse la rose au poing au début des septante, comme vous étiez fringants ! – ont changé la leur et assurent la prospérité de leurs féaux. Ce n’est déjà pas si mal, non ?
REFONDER
Des hommes politiques, de droiche ou de gaute, qui s’emploient, disent-ils, à « refonder le capitalisme » , Serge Halimi, dans son édito du Diplo [^5], en épingle trois emblématiques : « M. Gordon Brown […], dont la première mesure fut d’accorder son “indépendance” à la Banque d’Angleterre, José Manuel Barroso, qui préside une Commission européenne obsédée par la “concurrence”, Nicolas Sarkozy, artisan du “bouclier fiscal”, du travail le dimanche, de la privatisation de La Poste… »
La troisième de ces mesures (La Poste) ne serait plus d’actualité, si l’on en croit M. Guaino, le conseiller du Prince, mais peu importe (en revanche, voici qu’on parle de la retraite à 70 ans !), ça n’invalide pas la démonstration. Mais à ces trois-là, j’ajouterais volontiers un quatrième : ce M. Juncker, Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe. Il faut l’avoir vu piquer sa froide colère dans le JT de Pujadas sur France 2, à la suite d’un excellent reportage qui appelait un chat un chat et le Grand Duché un paradis fiscal, voire une lessiveuse [^6]… Si l’on compte en effet sur des types comme ça pour, ne disons même pas refonder, ne serait-ce qu’assainir un système pourri jusqu’à la moelle, on peut attendre longtemps. Et à ce propos, n’est-il pas extraordinaire que le nom de Clearstream ne vienne pas naturellement dans la conversation ? Ni celui de Denis Robert, toujours dans la tourmente pour avoir, plus que n’importe qui, mis au jour les circuits de financement opaques de ces « chambres de compensation » bien à l’abri des principautés d’opérette et autres cailloux perdus dans les océans brumeux de la finance internationale ?
Ne laissez pas tomber Denis Robert, voulez-vous ?
[^3]: Comme sifflait entre ses dents le grand vaincu Guy Mollet en écoutant le discours de Mitterrand : « Ah, il a appris à parler socialiste ! »
[^4]: Certains commenceraient-ils à l’admettre ? En tout cas, on note un changement. Ex : « On s’est mépris sur le non au référendum sur le TCE. Ce n’était pas un refus de l’Europe. C’était un non à la dérégulation du marché du travail. » (Michel Rocard, Le Monde du 3 novembre.)
[^5]: « Penser l’impensable », Serge Halimi, Le Monde diplomatique de novembre.
[^6]: En cette occasion, la rédaction de la chaîne a pu apprécier le vigoureux soutien dont a fait preuve sa patronne…